Dieu qu’il fait sombre en ces bois-là. Et même si il y avait un ou deux rayons de soleil à traîner, il y aurait aussi des troncs pour les masquer, en un jeu de cache-cache pas drôle du tout entre le passé qu’on ne veut plus voir et le présent bien fumeux. Le futur, on ne sait pas trop mais pas glop pas glop, à mon avis.
Un petit village en Pologne, quelques habitants et notables, la plupart du temps imbibés de vodka, violents, crasseux, et oublieux, très oublieux. Le système communiste vient juste de s’écrouler, alors qu’il n’y en a pas vraiment un autre à mettre à la place, du moins, pas un vraiment mieux. Du coup tous les coups sont permis. Surtout ceux en douce.
Un narrateur prend parfois la parole, c’est Lesrek, un jeune homme qui a commencé ses études à la ville, puis est revenu faire paysan, comme son père et son grand-père, parce que finalement, il préfère la terre, la ville, ça ne lui cause pas. Les autres sont restés, mais eux, c’est plutôt qu’ils n’avaient pas le choix, ou qu’ils ne se sont pas posé la question. Heureusement, il est du genre sobre, sérieux et curieux, un peu naïf même, mais cela ne nuit pas, au contraire, ça aide pour comprendre les entrelacs de l’histoire, un peu kafkaienne par moment.
Il y a l’histoire passée, celle d’avant la guerre, quand les juifs étaient au village et les Polonais dans les champs, autour. Puis, ils ont disparu et les Polonais ont pris les maisons. Sans rien dire. Surtout sans vouloir savoir. Sauf que bien forcés de se souvenir un peu quand des pierres tombales du cimetière oublié commencent à se faire la malle et que des fondations sont creusées, d’autres pierres retirées. Et si il y avait un trésor ? et si l’un d’entre eux était revenu ? Le village réveille ses peurs et ses fantasmes.
Il y a l’histoire présente, celle du communisme qui se casse la figure. Le village réveille sa rancune. Un meurtre mystérieux, des notables qui vacillent, des murmures qui se murmurent, des traffics effleurent, des pots de vin, des passe droit, d’autres petits arrangements frauduleux et délations remontent, font des glop pas glop à la surface de la vase. Les enjeux sont à la mesure des crapules, un petit jeu de pouvoir à la dimension d’un microcosme rural, asservi, englué dans sa bouteille et ses ornières. Et même l’église s’en mêle.
Un roman vraiment singulier, le roman unique (pour l’instant) d’un auteur qui doit en avoir gros sur la patate, un roman bien « pavé dans la mare », dont les défauts s’effacent au fur et à mesure, pas de rythme effréné, un lent englutissement dans une matière organique et sociale finalement bien ciselé : ce qu’a fait le système pourri à des gens presque ordinaires. Et quelques impasses : la délation, on pardonne ou pas ? La résistance, on l’a fait jusqu’où ? On fait exploser la marmitte ou on laisse bouillir ? On laisse la vengeance refroidir ou le taureau par les cornes ? Si les coupables sont piètres, est-ce une raison pour effacer les crimes ?
Un roman qui, a bien des égards, m’a fait penser aussi bien au Rapport de Brodeck qu’à Purge. Et pour moi, c’est vraiment deux compliments.
Merci à Domique, en tout cas. Et je rajoute la note d’Aifelle, parce qu’elle dit comme moi, mais en mieux.
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