Quiriny s’inspire de Borges, d’ailleurs c’est lui qui le dit, de Calvino ( celui des « Villes invisibles ») et il y a du Huysmans de « A rebours » dans le personnage qui lie certaines de ces nouvelles entre elles, le dandy collectionneur, Pierre Goulde. Elles ont un début et une fin, soit, mais surtout se déploient entre elles en trois séries conjointes.
La première série est celle nommée « Une collection particulière » : Pierre Goulde, fin collectionneur de raretés littéraires, présente au narrateur les différentes pièces où il amasse des ouvrages classés par lui selon leur spécialités, extraordinaires, d’exception, Goulde en possède des centaines. Il y a les livres qui ont tué leurs auteurs, ou leurs lecteurs, ceux qui ont sauvé des vies, ceux qui sont rongés par l’ennui, ceux qui se refusent à la lecture si le lecteur n’est pas en « tenue correcte exigée » … La section que j’ai préférée sont les « en quête de perfection » : après la mort de leur auteur, les livres s’auto-améliorent, se réécrivent tout seul, en cachette, ils se retranchent des adjectifs, des phrases, se tournurent autrement, bref, se rétrécissent (ou s’enrichissent, mais c’est plus rare, à croire que la perfection serait dans l’épure).
La seconde série pourrait être de science fiction, mais ce n’est pas tout à fait cela non plus. Quiriny la nomme « Notre époque » et y pose un postulat à chaque fois différent, postulat qui génére des situations à minima cocasses, savoureuses, malicieuses, labyrinthiques, insondables comme des rameaux de pieuvres logiques. « Notre époque numéro 1 » explore les conséquences d’un monde où les hommes se sont vus octroyer une résurrection systématique, ce qui n’est pas sans changer toutes les donnes religieuses, économiques, sociales, voire littéraires … Avoir deux vies, en effet, ne donne plus la même valeur à la première, puisque l’on dispose d’une session de rattrapage : la lecture de Proust s’en trouve retardée, la mère ne tremble plus pour son enfant, et quid de l’abonnement au gaz ?
La troisième série est plus descriptive. Quiriny invente des villes, chacune possédant une géographie problématique ; la ville où l’on ne vit qu’un jour sur deux, la ville qui entraîne dans son autodestruction tout espace qui lui est conjoint aussitôt, et aussitôt contaminé, la ville où les souvenirs ne peuvent s’effacer, la ville qui construit sa double de l’autre côté de la rive …
Un livre fantaisiste, jubilatoire, incongru, surprenant et drôle, érudit, nourri de références en forme de clins d’oeil, qui génére lui aussi son double, un reflet de la fantaisie plutôt torve car l’amusement jongle avec l’ennui dévastateur, la destruction, la mutilation, la disparition, l’engloutissement : moi, je me suis dit que cela pourrait faire le même effet que, si en secouant une boule de neige avec du connu dedans ( genre la Tour Eiffel), le connu se mettrait à faire « Meuh » : une tour eiffel qui se trompe de jouet, quoi.
A lire avec délectation, en tout cas.