La veuve, Gil Adamson

Une histoire qui prend peu de chemins de traverse pour nous mettre dans les foulées  pressées et hagardes de la veuve. On court  derrière elle dès les premières phrases et on continue après, à l’aveugle, même quand elle ne sait pas où elle va, c’est devant, droit devant, malgré les détours et même quand les sentiers s’effacent sous ses pas, voire dans sa tête.

La veuve est veuve parce qu’elle vient de tuer son mari, et fuit à grandes enjambées parce que ses deux beaux-frères sont à ses trousses et qu’ils ne sont pas du genre compréhensifs : grands, rouquins, un regard de tueur qui en vaut deux avec leurs quatre yeux, ils parlent peu mais flairent la piste de leur vengeance avec la ténacité des taigneux.

Avant de partir de la cabane où git le corps de feu son mari volage, la veuve a pris le temps de se coudre sa robe noire de veuve. Elle a 19 ans et rien d’autre, elle est petite, elle est seule, elle est ignorante de tout, de la nature qui la voit passer, à peine alphabétisée, sauvage, et la tête remplie de voix et de visions qui l’égarent, parfois. Elle n’est pas folle. Seulement, elle a été élevée pour une autre vie ; entre son père, un ancien pasteur que la mort de sa femme a écarté de toute certitude et de toute tendresse, et sa grand-mère, qui l’ a entourée de servantes mais de peu d’affection. Ils l’ont laissée partir se marier avec le premier fier-à-bras venu qui disait qu’il avait un domaine, là-haut, pour elle.

Sauf que le domaine était une cabane, le mari un tyran d’égoïsme. La veuve est donc veuve et fuit dans sa robe, avec comme seule possession sa bible luxueuse, crayonnée de ses hiéroglyphes, et qu’elle ne sait que réciter. Elle traverse les paysages inconnus sans connaître la nature qui l’entoure et sans reconnaître les bonnes âmes qui se penchent sur son parcours : une vieille dame au domaine décrépi et à l’âme charitable, ne pourra la retenir bien longtemps. La veuve s’enfonce dans les montagnes, s’y perd et s’y meurt de faim avant que ce ne soit d’amour pour un autre oiseau rare : « le coureur des crêtes », l’homme qui fuit toutes compagnies…

Comme dans un road movie mâtiné de western ( un road movie à cheval, en quelque sorte, ou à pied quand la veuve perd ses montures ), on la suit sans que les étapes soient sûres, elle a un peu de refuges parfois entre des bras, ou sous les regards d’un indien, d’un pasteur-boxeur, un Nick Cave un peu débonnaire, des miniers, un nain, des vents glaçants, des forêts obscures, un glissement de terrain, de la crasse, de la sueur, des coins où elle reprend quand même son souffle, puis repart, toujours elle devant et nous derrière.

Un sacré souffle, et une belle course, avec des murmures de  Dalva et quelque chose aussi de Dina : une belle petite  veuve-courage bien trempée dans une encre épaisse de Canada, de grands espaces où les hommes sont rares mais ont la couenne âcre. Une silhouette de veuve moineau, pipe à la bouche, tenant bien serré la bride de sa dernière monture, la détente facile mais peu fiable quand même, que l’on regarde s’éloigner à regret … Si c’était au cinéma, faudrait rajouter un soleil couchant à la dernière scène.

 

Un grand merci A.M.

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