Le turquetto, Metin Arditi

Constantinople 1531, un lieu une date, un rêve, celui d’Elie, petit juif à face de rat de devenir peintre, et une honte. Elie a honte de son père, un vieillard encore jeune, malade et épuisé qui se pisse du sang dessus et va mourir. Le père est pourvoyeur d’esclaves, il va vendre de belles caucasiennes pour les sérails, aidée par la vieille Arsiné, qui a tendu le sein au petit Elie et a éduqué bien des jeunes femmes aux services des autres corps. Mais son temps est fini.

Elie est aussi une honte pour son père, sa communauté. Dans sa religion, celle du livre, du mot, on ne doit pas reproduire les figures humaines, ni évidemment celle de Dieu. Or Elie dessine tout ce qu’il peut et tout ce qu’il voit : les belles esclaves dénudées, les volutes, les fresques, même celles des églises catholiques : la vierge qui va au ciel et les anges byzantins des plafonds. La peinture, il ne connait pas, il utilise de l’encre pour les pleins, les déliés, les profondeurs, de la belle encre que fabrique l’artisan puriste de la rue des fabricants d’encre, de celle qui ne s’effacera pas … Elie embellit les visages, les caresse de sa plume, les recréé.

Elie caresse même l’idée d’entrer dans un couvent, pas pour la gloire de Dieu, n’importe lequel, se convertir ne le gêne pas si on le laisse reproduire ce qu’il voit. Sans honte. Elie n’est pas très religieux en ces temps où pourtant, elle conditionne tous les statuts, les rangs et les droits, surtout on le sait celle des communautés juives. Et c’est en s’engouffrant dans une brèche de l’histoire qu’Elie le juif deviendra le Turquetto, peintre chrétien, à Venise.

S’engouffrer dans une brèche de l’histoire, c’est ce que Metin Arditi a fait aussi. Il est parti d’une particularité d’un tableau, « L’homme aux gants », longtemps attribué au Titien, dont il s’avère que la signature est en deux temps : un T, en gris foncé, et ignacianus, ajouté ensuite, en gris bleu. Ce qui laisse supposer que le tableau ne serait pas du grand maitre, mais d’un de ses élèves, passé à l’obscurité. C’est là où se glisse l’ombre d’un Elie oublié. L’auteur ne cherche pas à résoudre l’énigme, il brode autour, une bien belle toile surgit alors, avant de boucler la boucle et de laisser se refermer les destins : une Venise d’intrigues, de rivalités religieuses, de coups en douce et d’apogée de l’art, où les communautés s’affrontent à coup de commandes de « Cènes » et de « Vierges à l’enfant ». Ainsi s’étalait la puissance de l’église Catholique sous couvert de messes basses dans les ruelles des canaux et de coups tordus dans les ateliers des peintres et les refectoires des couvents … Une Venise de l’intolérance aussi bien qu’un objet d’art où l’on croise le Titien et une bien belle modèle rousse.

Le personnage du Turquetto se faufile entre les silhouettes rehaussées, sur cette trame bien brossée de rédemption et de toute honte bue et révolue. ( quelques bémols pour l’accession à la rédemption quand même, le chemin de croix est un peu gros, mais bon, tant pis, le reste est si bien)

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :