Jack est un extra terrestre, il vient d’une autre planète, « La chambre », c’est le seul univers qu’il ait connu jusqu’à ses cinq ans révolus, qu’il fête au réveil des premières pages du roman avec le seul autre être qui habite la même planète que lui, se mère de 27 ans, dont on ne saura jamais le nom, normal, elle est maman et c’est tout. Elle n’a pas d’autre identité pour lui. Le Grand Méchant Nick est leur seul prédateur. Il vient de l’Extérieur, du Dehors qui n’existe pas. Jack est né dans la chambre, il n’en connait que les limites et les rituels.
Dans madame Télé, vivent d’autres extraterrestres, aussi vrai s pour Jack que Dora l’exploratrice, qu’il salue de la main et de la voix et Dylan, le plus costaud des maçons qui chante avec lui. Ce sont ses amis, ils viennent le voir. La réalité qui existe, c’est lui, Jack et sa maman, et cette réalité serait parfaite si il n’y entrait pas le bip bip qui annonce l’arrivée du Grand Méchant Nick qui n’apporte pas toujours le cadeau du dimanche et parfois fait mal à maman.
La perfection pour l’enfant de ce monde clos est la construction de la mère de Jack pour qu’il ne sache rien de ce qui est évidemment une séquestration. Pour elle, mais donc lui n’en voit rien.
On comprend quand même rapidement qu’elle a été enlevée à l’âge de dix neuf ans et enfermée dans une cabane de jardin transformée en prison hermétique de l’intérieur. Dans le désespoir immobile et contraint qui est le sien, la naissance d’acquérir dans sa prison une forme d’équilibre, artificiel. Jamais elle ne le voit comme son fils à lui, il est uniquement son fils à elle, son monde. Le « père », d’ailleurs, n’a pas le droit d’approcher, de voir, ni de toucher son « fils », l’éloigner du mal pour que le mal n’existe pas. La nuit, dans petit dressing, Jack s’endort en comptant les coups de boutoir de ce qu’il ne sait pas être des viols.
Pour son fils, qu’elle veut « normal », la jeune fille a inventé depuis cinq ans un monde fait de rituels, autant de protections de l’ennui et du vide, à heures fixes et jours fixes : petit déjeuner en comptant les céréales, déjeuner avec des légumes pour éviter les carences, se brosser les dents, se laver en entier, laver le linge et jouer. Jouer à n’en plus finir, avec des jouets bricolés à la mesure de ce qu’il possède, de ce qu’ils peuvent demander au grand méchant loup. Elle compte tout, car tout pour lui est faveur, un rouleau de scotch, un bout de ficelle, une épingle …
De temps en temps, elle part dans l’Ailleurs, ne joue plus, ne compte plus, dort, le cou tuméfié. Mais le plus souvent, elle tient son programme et le violeur aussi.
Cependant, à partir du jour des cinq ans de Jack, la mère sent que le danger va encore changer de nature, va sortir de sa routine qui lui a permis de tenir et de mentir à Jack. Le grand méchant loup se fait plus inquiétant encore, il tente de les écraser, pauvres petites miettes qu’ils sont dans leur boîte, entre impuissance et inconscience. Alors, elle va trouver une solution dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est de la dernière chance désespérée avant que le loup ne souffle sur la cabane de jardin et la fasse disparaitre comme deux fétus de paille.
Au départ, la narration assumée uniquement par l’enfant m’a un peu gênée, l’écriture se mettant (mais c’est logique) à la dimension de son vocabulaire et de son monde si restreint que les répétitions de madame télé, madame table, monsieur tapis, madame plante, madame lucarne qui laisse passer le visage de dieu ( comprendre la lumière du jour), maman qui donne du doudou lait,
sont si fréquentes qu’elles semblent tourner en rond ( mais c’est logique aussi). Et de logique en logique, on en arrive à un roman assez étonnant, sur un vécu insondable de sordide et d’horreur, où les réalités inversées disent un traumatisme avec une innocence touchante de plein cœur.
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