Enclave, Philippe Carrese

C’est une sorte de roman-laboratoire, où l’auteur a mis les différentes composantes d’une machine infernale. Un texte risqué aussi car il semble au départ s’ancrer dans la réalité historique de la fin de la seconde guerre mondiale alors qu’il s’éloigne rapidement d’une reconstruction historique, qu’il est moins question de la libération des camps de concentration que de celle de l’engrenage de la soumission et de la lâcheté.

Pour construire son « camp modèle », l’auteur y a mis plusieurs nationalités dont un groupe d’Italiens minoritaires et égarés là. Ce sont les boucs émissaires, écatés de la communauté des autres prisonniers par le mécanisme humain qui fait que, des hommes humiliés par des hommes plus forts qu’eux, vont se sentir plus forts, à leur tour, en en humiliant d’autres. Il a ajouté des femmes, des prostituées volontaires pour bordel de luxe destinés aux gradés venus dans ce camp pour se reposer tout en contribuant à l’effort de guerre par la reproduction d’enfants correspondant aux critères de la force et de la beauté aryenne. Il y a donc, aussi, quelques enfants du programme Lebensborn. Les autres prisonniers font la masse, ils sont tchèques pour la plupart. Se détache de cette masse, Gabor et Milos, deux « fortes têtes » qui se feront pourtant entrainés par l’engrenage, un médecin à la parole prophétique mais qui ne pourra rien empêcher, le leader « né », Dansko, et enfin le narrateur. Mathias, dit le petit lézard, débrouillard n’a ni froid aux yeux ni le crayon dans sa poche, poussé par sa mère, c’est lui qui rendra compte.

Philippe Carrese a placé son camp soigneusement, en Slovaquie, un cul de sac bordé d’un côté d’un ravin infranchissable et de l’autre entouré de montagnes que nul n’a jamais franchies. Une seule vois d’accès reste possible, le pont de chemin de fer, si les nazis ne l’ont pas piégé …. Dès le jour de la libération, les installations radio ont été détruites, la communauté est libre, soit mais que vont faire les rats de laboratoire de cette semi liberté ?Ceux que le chefs a nommés « les citoyens de Medved ? S’opposer ? Subir ? Reproduire ? Inventer ? Construire ?

La leçon menée par l’auteur est rude à entendre ( mais le livre très facile à lire), d’une parfaite cohérence, sans effets de manches, ni grandiloquence, ni démonstrations moralisatrices inutiles, points par points, les faits consignés dans le cahier du « petit lézard » tordent d’eux-mêmes le cou aux illusions fraternelles.

Un seul bémol : au début du livre, les nazis sont qualifiés de « monstres ». Si seuls les monstres commettaient des actes monstrueux, l’humanité serait assez peinarde, vu que des monstres, il y en a relativement peu chez les humains, alors qu’il y a beaucoup d’hommes. Ce terme m’a d’autant plus étonnée que l’ensemble du livre repose justement sur le postulat inverse : l’homme ordinaire peut, justement pour sa survie ou même moins, son honneur ou quelques autres grands mots, agir de manière monstrueuse. Il n’en reste pas moins hommes, et c’est bien là le problème …

 

En tout cas, un grand merci à Margotte qui m’a donné envie de découvrir ce texte, à la fois facile d’accès par l’écriture et ambitieux par le propos.

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