C’est Crâne qui prend la parole. Foetus juste expulsé en ce monde, elle découvre son frère Little Duck, sa soeur, Jima, et vaguement l’odeur de sa mère, qui en tentant de s’en débarrasser avant de l’expulser, l’a, en plus, quelque peu déformée . En fait, Crâne a un peu trop de parents, sans en avoir aucun. Ils sont au nombre de trois, deux femmes et un homme, mais l’homme n’est pas son père, et pour son frère et sa soeur, c’est un peu pareil mais pas dans le même ordre …
Tous les six vivent dans un cabane squattée, au milieu des champs de l’Iowa. Tit, une des mères, vit sa vie de vendeuse à la cuisse légère et fourgue des produits miracles macrobiotiques jusque dans la bouche des enfants. Ces pilules sont d’ailleurs à peu près leur seule nourriture. Flat, l’autre mère, ne quitte pas son piano où elle tape les mélodies de cantiques hallucinés à la gloire du dieu de l’Apocalypse. Les enfants accomplissent en choeur cet autre pendant de l’amour maternel, bien obligés … Et, pendant ce temps-là, le père, Big Duck, un ancien prédicateur déchu pour polygamie, tire le diable par la queue dans les salles de billard de la ville où les enfants n’ont jamais mis les pieds.
C’est dire si Crâne est mal barrée … A moitié aveugle, considérée comme attardée, seule la chaleur crasseuse de la robe jaune de sa sœur l’a accueillie en ce monde. Les trois enfants grandissent, livrés à eux mêmes, le corps affamé, sans savoir ni lire, ni écrire. Ils survivent entre eux, se dorlotent d’un rien, se protègent d’un regard. Comme il n’y a personne autour d’eux, ils évitent même la compassion … Leurs journées passent, dans la contemplation des champs de maïs voisins, dont ils connaissent toutes les saisons et les travaux, et dans l’attente du passage du train de 21.49, le recrachage des cantiques et l’avalage des miracles macriobiotiques.
Jusqu’au jour où, un drôle de personnage va attérir dans leur paysage immobile, transformant la carrière voisine en un lac artificiel pour pêcheurs. A défaut de baguette magique, cette ouverture vers la normalité va quand même constituer une certaine forme de porte de sortie pour les enfants, et Crâne trouvera une route cabossée à suivre. Poursuivie par la nostalgie de sa misère crasseuse, elle tentera de devenir princesse, sans grand soutien du prince charmant, il faut bien le reconnaître.
Un texte drôle, enfin, qui fait sourire au lieu de faire pleurer, comme il se devrait, vu le sujet, une spéciale dédicace aux fourmis qui sont drôlement bien en fées redresseuses de sorts tordus.
Et un grand merci à ma copine A. M. qui m’a fait découvrir cette petite pépite.
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