Deux temps et deux types de narration se croisent dans ce livre. D’abord, celui des trois âges de l’immigration africaine à Paris. L’âge de bronze, selon la dénomination de l’auteur, se déroule de 1960 à 1980. C’est celui de l’arrivée en France de Ferdinand, alors que la MECI (maison des étudiants de Côte d’Ivoire) est encore un lieu d’activité politique, et que les Grands Moulins de Paris tournent à plein régime. Ferdinand y devient vigile. La crise arrive, mais le « monopole du coeur » parle encore de fraternité et d’espoir.
L’âge d’or ( 1990-2000), est celui d’Ossiri. A Abidjan, il était professeur de sciences naturelles dans un lycée privé. Il est venu à Paris, un peu sur les pas de sa mère qui, à l’âge de bronze, y avait accompli sa révolution politique. Ce pourquoi, il ne s’appelle pas Jean Christophe, entre autres … Ferdinand, entre temps, a monté sa propre entreprise de sécurité et à son tour, sous traite les sans papiers. C’est ainsi qu’Ossiri devient vigile dans les « ruines magnifiques » des grands Moulins qu’il faut garder vide de marginaux à demeure. La MECI est un taudis où il rentre en traînant des pieds.
L’âge de plomb est le nôtre et celui de Kassoum, face à face avec son poste de télévision miniature et les images des deux tours jumelles qui s’effondrent, dans la mini cabine en préfabriqué qui survit au milieu des ruines sinistres des ex-Grands Moulins. Dans le monde des vigiles, l’angoisse sécuritaire signe la fin de l’embauche à tout va. La MICE est un cloaque répugnant, et l’expulsion des derniers occupants ne tient pas une minute au vingt heures. L’immigrant se confond avec le SDF.
Entre ces trois récits où se retrouvent lieux et personnages, Gauz donne à entendre, sous forme de minces anecdotes titrées, la voix actuelle d’un debout-payé, un vigile noir, dans plusieurs enseignes parisiennes. Il épingle avec humour et sagacité, les comportements des clients, des autochtones comme des touristes. Evidemment, on y sent le vécu.
L’alternance entre ces deux types de narration fait l’intérêt du livre : on sourit aux regards lucides du vigile comportementaliste, on compatit à la dégradation de la situation des immigrés dans la société française. En cela, le but de l’auteur est sûrement atteint. Pourtant, il m’a manqué un petit quelque chose pour être véritablement emballée. Il y a quelques pages géniales de poétique urbaine, comme écrites au rythme de la marche de celui qui doit scruter son environnement pour y survivre, mais l’ensemble ne sort pas complètement d’un matériau brut, celui du vécu, justement. Peut-être un peu trop didactique, un côté peu fignolé, livré comme cela, au fil du ressenti … Mais c’est aussi, visiblement, ce qui a plu à beaucoup dans ce livre, d’un ton proche de ce qu’écrit Léonora Miano sur les afropéans, pour sortir de la littérature « de la négritude ».
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