Le ciel pèse plus lourd qu’ailleurs dans le fin fond des Cévennes. Pas les Cévennes du soleil, celles que l’on trouve de l’autre côté du gardon et de la Vallée française, mais les Cévennes du nord, où le touriste, même randonneur, se fait variété rare tant le sol y est rude au bâton, même en descente, et la terre froide, même en été, quand se baigner sous le Pont de Montvert vous donne une idée du pôle nord. L’eau y est pourtant claire, aussi claire que l’habitant est taiseux, voire suspicieux.
Gus pourrait en être l’archétype de ses taiseux. Figé sur sa terre comme si elle était son lot d’éternité, il ne voit pas plus loin que son nécessaire, l’horizon embrumé du bout de ses champs, à savoir seulement passer un jour après l’autre, que les vaches doivent traites à l’heure et la clôture réparée.
C’est un drôle de type, dans un drôle de temps, arrêté comme lui, solitaire et glacé comme la neige qui fabrique des empreintes, les empreintes, toujours les mêmes, les siennes et celles de son chien. La violence de l’enfance, celle d’un amour perdu aussi, perdu avant même d’avoir existé, il y a si longtemps, reviennent comme les flocons qu’il chasse d’un revers de main, comme les mouches s’accrochaient en été au papier gluant de la cuisine, l’unique pièce de la ferme, où grésille la télé, à l’image aussi ouatée que le ciel est bas.
Allez savoir pourquoi, c’est le jour de l’annonce de la mort de l’abbé Pierre que cela lui prend à Gus, de se sentir ainsi tout chose, à remuer ses flocons de souvenirs, à se sentir un peu comme un orphelin, alors qu’en vrai, orphelin, il l’est déjà depuis un bon moment. Et le moins que l’on puisse en dire, est qu’il ne le regrette pas. Et on le comprend.
Mais le voilà d’autant plus tout chose que son unique voisin et ami, Abel, autant que l’on puisse être amis entre deux célibataires taiseux et cévenols du nord, se met à faire des cachotteries, de celles qu’on pourrait ne pas remarquer si depuis tellement d’années, le papier à musique de leur relation n’avait pas gardé la même tonalité qu’un texte à trous.
Gus et Abel se cherchent, entre taiseux, cela peut-être violent … et l’intrigue déroule un fil simple et presque ténu de vieilles rancœurs dont on retrouve les traces dans la neige, pas à pas, mais bien tassés les tas …
Ce qui tient vraiment le bouquin, j’ai trouvé, est la cohérence du paysage, du décor et du style. Dans un lieu où chaque geste a sa place, chaque flocon son poids, les phrases et les mots sont ici placés pareils, avec une place et une attention à cette place. Chaque mot construit les gestes, nécessaires, lourds et pointilleux et vains en même temps, de Gus. Ils transpirent de sa fatigue et finalement, de sa peine, toute simple et jamais dite ainsi, de ne pas avoir été aimé.
Aussi simple, clair et froid que l’eau du Pont de Montvert. Et dieu sait si elle est claire et froide cette eau du Tarn …
Lire aussi l’avis de Sandrine qui m’avait donné l’envie de lire ce titre, aussi rude que le pays, la Lozère, qu’il raconte. Une pensée pour Prades et Castelbouc …