Les photos sont anonymes, sans noms, sans prénoms, sans dates, sans lieux. Elles ne sont ni belles, ni bien prises. Elles montrent des gens ordinaires et des moments infra ordinaires, de ces photos qui ne veulent rien dire de bien important, sauf, peut-être, pour ceux qui les ont regardées, avant de les jeter.
On y voit un jardin, un champ, une cour avec des plates bandes en béton, les en arrondie qui devaient faire joli dans les rangées, bien rangées d’un potager, la tapisserie d’une salle à manger, celle à gros festons dorés et déjà fanés. Les mêmes personnes reviennent, mal cadrées ; une grand-mère, un homme plus jeune, qui porte une petite fille, la même qui tient d’une main un grand-père et de l’autre un vélo, elle doit l’avoir reçu en cadeau, elle ne le tient pas bien, une autre photo, cette année là, elle a reçu une guitare. Un portrait se détache, la petite fille porte un gros pull à rayures orange, la laine peluche déjà un peu. Elle a les dents un peu écartées et regarde ailleurs. Une autre photo montre le portrait peint de la petite fille au-dessus du cadre d’une cheminée, le regard affirmé. Et pourtant, c’est le même.
La grand-mère porte de grosses lunettes, de plus en plus foncées. La petite fille grandit. Séance pose au camping, devant un barbecue. Sa solitude enrobe l’âme des polaroïds.
Sur aucune photo, n’apparait la mère. Isabelle Monnin construit l’histoire autour de ce manque et anime le papier glacé, la petite fille attend près d’un téléphone à touches orange, Platini lui fait chanter « allez les bleus », la coupe du monde est en Argentine, très loin de la grand-mère, devenue mamie Poulet, loin de la toile cirée de la cuisine étriquée. Là-bas, il y a celle qui a pris le virage. Isabelle Monnin nomme la petite fille Laurence, le père, Serge, et la mère, celle qui les a quittés, Michelle.
Elle leur brode une histoire de désamour, et de rêves perdus, de tristesse sans plaintes, d’infinis riens ordinaires dans une bourgade des années 70 entre ruralité et usine et raconte une histoire de virages, de ceux que l’on ne prend jamais, ceux qui sont à 90 degrés. Une histoire de barrage et d’enfance grise aux couleurs passées de polaroids qui ne veulent plus rien dire au fond d’un tiroir.
Reste à faire la seconde partie, l’enquête et retrouver les vrais gens. L’auteure traine des pieds, moi aussi. Pas envie de savoir qui ils étaient vraiment ces gens dans l’enveloppe, si cela se trouve, Michelle, Serge, mamie Poulet et Laurence, en vrai, ils étaient moches, pas si tendrement abimés que dans le roman, pas si vrais dans leur vie où la banalité n’aurait pas l’excuse du romanesque. Mais voilà, « dans l’enveloppe, il y avait des gens biens » dit Isabelle Monnin. elle mesure sa chance, et moi aussi.
Serge devient Michel, Michelle devient Suzanne et Laurence reste Laurence. L’enquête bâtit d’autres portraits en échos des premiers et noue, pourtant, la même histoire ; la faille de l’enfance, le désamour et l’abandon, même si les rôles sont redistribués et que l’Argentine rêvée se dissout dans la réalité de Clerval, ancrée dans le Doubs. Reste la fragilité de Serge qui fait chavirer, une histoire de clocher et de cœur que l’on a oublié de prendre.
En enlevant les guillemets de la fiction, le lieu et les gens prennent corps et bruissent les voix qu’Alex Beaupin va alors mettre sur le CD, troisième écho où les vrais gens content alors les deux histoires et la leur. Les trois moments résonnent des mêmes notes frêles et friables comme des larmes à sécher.
Un autre avis, un autre coup de coeur : monpetitchapitre
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