la huitième vibration, Carlo Lucarelli

Dans ce roman noir, que l’auteur associe dès l’épigraphe à l’oeuvre de Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres », tout vibre, comme vibre une terre, des âmes, noires ou blanches, chauffées à blanc, comme vibrent les accents des dialectes italiens et éthiopiens. Sans cesse, les sonorités de ces langues se heurtent, rajoutent à la rocaille du désert qui entoure les murs immobiles et aveuglants de Massoua, la ville coloniale où s’agitent, moites, les multiples personnages des colonisateurs sanglés dans leurs uniformes collant de sueur.

Les Italiens règnent en maîtres factices dans une Érythrée de pacotille dont ils ont corrompus les femmes et les mœurs. Ils sont sardes, vénètes, pouilleux, engagés volontaires, ou forcés, et le livre retrace leur quête sans grandeur, d’argent, de justice, d’amour ou de haine, jusqu’à la bataille finale d’Adoua, la première où les forces du Négus vont faire un carnage des troupes coloniales mal entraînées, stupidement engagées sur un terrain dont ils méconnaissent les reliefs, qui leur seront autant de pièges.

Il est souvent fait référence également dans ce livre à ces photos, format sépia, où une madame noire pose avec son officier blanc, ou encore le simple gradé blanc, de première ou seconde classe, avec son fusil, où le blanc vibre sur le noir, mais c’est un livre où le noir l’emporte sur le blanc : galerie de portraits de salauds corrompus ou de salauds idéalistes, ou de salauds tout courts : Amara, celui qui rêve d’héroïsme, Cappa, celui qui pratique la magie de la corruption, Cicogna, l’ordonnance des basses besognes du major Flaminio, fantoche drogué, et halluciné, rejeton vicié et décadent d’une Italie qui tient son unique colonie comme un trophée dont elle ne sait que faire.

Les quelques personnages honnêtes sont aussi moites que les autres, et c’est un livre où l’on respire court, au rythme saccadé des chapitres, qui étirent d’abord le temps du vide colonial, le temps de sa fatuité sexuelle, puis, ils se remplissent des crimes, les plus mesquins comme les plus vicieux, vains et poisseux des petites ambitions, l’envers du décor d’opérette des photos sépia du soldat colonial, et de la colonisation, d’ailleurs, en général.

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