Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson

Il reste une forme de tristesse nostalgique, plus ou moins assumée selon les moments, ponctuée d’aphorismes toujours brillants, mais qui passent parfois à côté du sourire par manque d’allant.
Les petits espaces français sont cette fois le territoire de chasse de l’écriture de Tesson. On le sait, l’écrivain s’est fracassé à terre une chute de huit mètres d’un toit, où alcoolisé, il voulait sans doute aller côtoyer les étoiles. Pendant huit mois, il a été hospitalisé, rafistolé par les corps médical, soutenu par la lecture de Villon, le punk médiéval, et sa volonté de remarcher, de partir sur les chemins pour y achever sa rééducation pour de vrai, plutôt que de se coltiner la marche artificielle des machines.

Passer de l’état d’une « machine physique », qui suivait sans heurt un esprit en état de surchauffe permanente, à une posture de convalescent à la tronche cubiste, qui dispose d’une demi surdité et d’un demi odorat, est sûrement aussi complexe pour Tesson que de passer de la vodka au viandox. Mais de cette détresse morale là, l’auteur dit peu de chose, il la noie dans les paysages des chemins noirs du retour vers un nouveau corps, et sans doute une autre philosophie de vie que celle de la pile électrique, plus sage, mais on sent que la contrainte lui pèse.

L’expression des « chemins noirs » lui vient d’un roman de René Frégni racontant la cavale d’un conscrit. Tesson n’est poursuivi par personne, mais son parcours a pourtant quelque chose de la fuite, ce qu’il avoue tout en le niant, d’ailleurs. Les chemins noirs, il les repère sur les cartes IGN, c’est par eux qu’il traverse la France rurale, en tentant d’éviter tout passage par le bitume, des Alpes de haute Provence au bout du bout de la presqu’ile du Cotentin, devant Omonville La Rogue. Parti le 24 aout, il arrive le 8 novembre en ayant choisi de quitter l’hyper ruralité vers le nord de la Loire.

L’hyper ruralité est un concept défini dans un rapport commandé par Jean Marc Ayrault, alors premier ministre, sur l’aménagement des campagnes françaises. Il y fut établi qu’une trentaine de département souffre d’une accumulation de symptômes : manque de modernité numérique, commerciale, administrative et routière. Si Tesson a choisi ces territoires, c’est pour mieux y fuir ce qu’il nomme le « dispositif ». Car, ainsi retourne-t-il la parole napoléonienne, « fuir, c’est commander ! C’est au moins commander au destin de n’avoir aucune prise sur vous ! ». le dispositif est ce qui fait surgir des ZAC autour des villages, des collèges numériques au coin des hameaux, des pancartes « vergers sous surveillance vidéo », « dernier avertissement » à ne pas poursuivre, et fait grincer les panneaux « A vendre » sur des façades vides en face d’autres façades vides. Le dispositif crée à côté de cette désertification, la vraie fausse « ruralité lavande et cigale » en Provence, « galette et biniou » en Bretagne, qui le fait grincer, lui, des dents et de la prose. En effet, encore faut-il que le dispositif puisse s’emparer du territoire, ce qui par exemple, souligne l’auteur, laisse peu de chance à l’Indre et Loire … Je le laisse juge, je ne connais pas l’Indre et Loire, mais l’hyper ruralité, par contre, j’y ai passé mes vacances, alors je n’ai pas que constater que l’abandon est mortifère, et que ces petits villages qui, quand on les traverse en voiture peuvent laisser dire d’eux qu’ils pittoresques et préservés de notre modernité trépidante, suintent de l’ ennui d’une fête de village animée par un disco mobile. (Là, c’est moi, c’est pas Tesson, lui, il se focalise sur les salons de beauté qui font de la résistance …)

Tesson ne s’est pas métamorphosé en moraliste ordinaire, d’un dandysme toujours littéraire, il se balance sur la corde raide de la nostalgie du « c’était mieux avant », sans honte de « s’avouer nostalgique de ce qu’il n’a pas connu », assume ses phantasmes d’une vraie ruralité des coups de rouge avalés sur le plateau de bois d’une table rustique, avance ses regrets d’une sorte de « chant du monde », mais à la Giono, où la Provence est âpre et rude, tout en affirmant que la nostalgie n’ est peut-être pas qu’ « une déploration sénile de l’éternelle course du temps, dû au simple regret d’avoir perdu ses vingts ans. »

L’auteur n’a pas non plus perdu sa prose, et n’a sûrement pas pris le goût du viandox, seulement une vision du monde qui s’est quelque peu rétrécie.

 

 

 

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17 commentaires sur “Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson

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  1. Il me semble (souvenir de cette lecture) que les chemins noirs ont disparu vers le sud de l’indre, juste avant d’attaquer l’indre et loire (département que je connais, j’adore ta vision du coin)

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    1. Je ne suis pas très fiable en géographie, d’où sans doute mon erreur … Mais par contre, pour l’Indre et Loire, c’est Sylvain Tesson qui est responsable de cette vision un peu terne, je me serais pas permise un jugement personnel, vu c’est juste un département que je ne connais pas du tout ! D’ailleurs, si cela se trouve, c’est très joli ….

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      1. Pfff, c’est Tours, la Loire, Amboise, tout ça, touristique, avec les rois de France qui s’y sont bien plu. Mais je reconnais que l’on n’a plus trop de ‘chemins noirs’, c’est bien construit et taillé au cordeau

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      2. Oh ! Et bien, je connais en fait ! je suis allée plusieurs fois visiter les environs de Loches, et puis il y a Chaumont sur Loire et ses jardins extraordinaires … Il y a de super coins ! Il dit n’importe quoi ce Tesson !

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      3. Chaumont n’est pas dans le 37 mais le 41 (oui, j’habite le coin ^_^) Tesson évoque plutôt les chemins encore un peu sauvages et ‘où la main de l’homme n’a pas trop mis le pied’ , si tu vois ce que je veux dire

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  2. Très beau billet qui va comme une chaussure de rando à ce livre-chemin ! J’ai bien aimé ce récit, tout autant que le mépris affiché pour la course effrénée à la modernité qui s’accompagne d’une surveillance de plus en plus accrue. Il y a bien quelques facilités, mais j’avoue avoir suivi ces chemins noirs avec le plus grand plaisir !

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    1. Quelques facilités effectivement, quelques répétitions aussi, le mépris face à la modernité est quand même relativisé, Tesson disant bien que la ruralité qu’il aime, n’est pas celle qu’il voit, mais qu’il voudrait voir … J’aime bien ses formules, ses aphorismes qui font mouche, même si parfois, on le sent amer dans ce titre.

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    1. Merci ! Ce titre n’est pas celui que j’ai préféré, mais j’ai bien aimé marcher dans son écriture, qui me fait toujours l’effet de lire quelque chose d’intelligent (du coup, on se sent intelligent, et ce n’est pas déplaisant !)

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    1. Dans la forêt de Sibérie est une marche immobile, et pour cause, moi aussi, je préfère le Tesson lancé en pleine course, tente Béréniza, si tu l’as dans ta PAL, c’est vraiment celui que je préfère, et là, ça bouge !

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    1. Merci pour vos encouragements, votre visite et ce commentaire ! Je vais aller découvrir le résultats de vos recherches, du coup. Car moi aussi, j’apprécie toujours Sylvain Tesson, ses livres, mais aussi ses émissions, surtout la série où il retrace l’itinéraire d’ Ulysse.

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