Au départ, l’arche est « le cube », le rêve esquissé d’un architecte danois, un bâtisseur de petites églises épurées, inconnues, comme lui d’ailleurs. Johan Otto von Spreckelsen, dit Spreck, est un intellectuel du froid, un doux humaniste glacial, secret, et qui aime sa femme et la pêche. Il remporte, sans quasiment le savoir, le concours international lancé par l’équipe mittérandienne chargée des Grands Travaux : le chantier de l’Opéra est lancé, la pyramide du Louvre est en marche, reste la clôture de la perspective : le chantier de la Tête Défense. Il fallait trouver une solution pour donner de l’allure aux immeubles commerciaux du bout du bout qui font désordre.
Gagner le concours est une chose, voir l’oeuvre se réaliser en est une tout autre (on pourrait croire naïvement que non, mais comme Spreck, on est pas au bout des revirements, loin s’en faut !), une courses d’obstacles contre les montres des réalités politiques et économiques, qui ont d’ailleurs des géométries variables. Si l’arche a conquis le jury, puis l’architecte, le président, c’est sous sa forme idéale. Son créateur n’a pas les codes des négociations des marchés publics à la française, ni l’envergure technique que demandait son projet sur papier. Il va petit à petit s’en voir dépossédé. Il voulait une arche ouverte, non pas au vent, mais à tous les échanges utopiques. ce sera le vent qui gagnera.
Le roman retrace les étapes de ce dépouillement artistique, ruineux par ailleurs, qui amènent les responsables qui prennent le projet en main à le vider de son sens, et finalement, d’un sens, presque malgré eux, presque bonne foi. Pour sauver l’arche.
La période des Grands Travaux, puis celle de la fonte des illusions qu’ils soutenaient symboliquement, est rigoureusement évoquée. Les acteurs de l’ombre sont bien éclairés, mis en scène : Andreu, Subileau, Lion, Maxwell, Bouygues … maîtres d’oeuvre, clientélistes, constructeurs sans scrupules se passent les ordres et les contre ordres, sous le regard du sphinx, Mitterrand, qui n’en peut mais. Valsent les projets pour la remplir de sens cette arche, tandis qu’on lui coupe les ailes architecturales (sous la forme de nuages cristallins qui deviennent finalement des cordages à grandes bâches …) : elle n’abritera ni centre de culture et d’échanges, ni musée, ni rien de ce voulait son créateur, mais des bureaux, ministériels puis non, puis si, et commerciaux, par contre là c’est sûr, c’est même à peu près tout ce qui tient la voile … Spreck finit par jeter l’éponge avec l’eau des nuages cristallins, il est allé au bout des compromisions, il la laisse à ceux qui en ont fait un objet purement politique.
Reste le squelette du rêve mis en lumière d’apothéose lors de la commémoration du bicentenaire de la Révolution, le « sommet de l’arche ».
Le roman n’est pas à charge, il est passionné, il montre que si politiquement, l’arche est une réussite, artistiquement, c’est un fiasco, financièrement, un désastre et idéologiquement un gouffre. Tous les rouages entre ces différentes facettes sont clairement agencées, l’articulation est sans faille. Même si pour moi, il y a un peu trop de chiffres (mais déjà, moi, deux c’est beaucoup !), un peu trop de documentation millimétrèe, ce texte recadre les enjeux qui furent à l’oeuvre et donne à l’entreprise une dimension symbolique propitiatoire, qui perso, m’avait complètement échappée.
J’ai beaucoup aimé cette lecture ; je ne m’attendais pas à être captivée par le récit de la construction d’un grand machin comme ça ! 😉
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Ce récit est passionnant, comme je l’avais noté après lecture de ta note et celle de Keisha, je n’ai pas du tout été surprise, ni déçue. Il y a bien quelques moments un peu plus techniques et minutieux qui ralentissent le récit, mais je chipote là !
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J’ai absolument adoré, je l’ai prêté (deux fois, et c’est revenu, avec approbation)
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Mon homme est en train de le lire avec autant, sinon plus, même d’intérêt : méandres de la politiques et dessous des cartes, c’est son truc ! Et ici, c’est très bien fait, mais moi, c’est le projet architectural qui m’a captée. Un livre à fortement conseiller, il est étonnant.
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Tiens, jamais entendu parler, mais ça m’intéresse : dans le cadre de mon BTS tourisme (il y a un siècle !), j’ai fait visiter le quartier de la Défense à quelques touristes, loin de l’approche de Laurence Cossé…
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L’approche n’est absolument pas touristique, tu apprends plein de trucs sur le dessous des cartes politiques qui ont modifié un projet irréalisable, mais très beau, en une oeuvre dénaturée et vide de sens et qui a été un gouffre financier, si tu mets de côté l’aspect contribuable qui sommeille en nous, c’est passionnant (et un peu énervant quand même …)
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Noté depuis belle lurette, je viens de retrouver grâce à ton billet l’envie de le lire !
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Dès que je l’ai vu en poche, je me suis précipitée. J’avais un peu oublié que je l’avais noté, mais la mémoire m’est revenue aussitôt des notes d’Aifelle et de Keisha. ce qui est bon signe, dès fois, je note, et l’envie me passe, là non ! Et bien, j’ai bien fait et merci aux blogs !
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j’ai un billet en préparation à propos de ce livre j’ai été passionnée , cette écrivaine a un véritable talent, mais pourquoi appelle-t-elle ce livre roman?
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Tout à fait d’accord, ce n’est pas un roman, mais une sorte d’enquête ( très documentée d’ailleurs). peut-être parce que l’auteure a gardé des traces d’écriture littéraires ? Ou qu’elle se permet de reconstruire certaines pensées des personnages, dont celles de l’architecte ? Si elle passe en nos pages, on lui posera la question …. J’ai maintenant hâte de voir ton avis, qui sera lui aussi positif, si je comprends bien ?
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Roman ? Ou récit d’un fiasco ? Comme ça, je ne me sens de le lire mais tout le monde a l’air si enthousiaste …
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Récit d’un fiasco, ou presque … Mais pas roman, ça c’est sûr ! le fiasco n’est pas total, d’après l’auteur, il faut quand même avoir son petit coeur de contribuable bien accroché !
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Ouf… je ne sais pas si c’est pour moi. J’ai un peu peur de passer complètement à côté.
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Je ne sais pas ce que ce titre pourrait donner, vu du Québec !
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