Requiem : un jeune homme, Henri Girard en veut radicalement, viscéralement, à sa famille richissime qu’il tient pour responsable de la mort de sa mère, un canard boiteux dans la bien bien-pensance admise et respectable, le seul amour de son père qui n’arriva pas à imposer son choix déclassé. Unique descendant de ces gros bourgeois (plus que grands, on les voit gros …) Henri va leur faire payer leur mépris en dilapidant avec arrogance, provocation et sans aucun remords, leurs sous patiemment placés et économisés. Après la mort tragique de son père et de sa tante, il dilapidera encore plus vaillamment ce qui restait encore de vendable, s’exilera en Amérique du Sud, abandonnant femme (la deuxième) et enfants (deux aussi). Il en reviendra avec Le salaire de la peur. Devenu trublion politique, il épousera encore deux femmes, la cause algérienne et saluera la bonne compagnie des littérateurs à coups de pieds de nez bien pensés. Jaenada, pendant ce temps là, malin, se fait presque tout petit. A peine quelques parenthèses caustiques, et surtout, il ne dit pas un mot sur la cause que lui, a épousé, cette fois, la cause d’Henri, le crime à la serpe.
Dans la deuxième partie, il sort le stylo rouge pour souligner le portrait d’Henri, tel qu’il fut mené lors des faits, à charge: Henri Girard, crapule sans scrupules. Les journées menant au triple meurtre dont il fut accusé, le triple meurtre du chateau d’escoire, sont reconstituées pas à pas avec toutes les mauvaises intentions possibles du meurtrier de son propre père, de sa tante et de la fidèle domestique de la famille. Georges, haut fonctionnaire de Vichy à son corps défendant, Amélie, la tante vieille fille, martyre de son neveu, vache à lait naïve, quoique arrogante châtelaine, et la bonne qui se trouvait forcément là. Dans le château, au petit matin, trois pièces ensanglantées, trois cadavres tailladés, des tiroirs retournés, rien de volé, en apparence, aucune trace d’effraction, un Henry hagard qui fume cigarettes sur cigarettes en en offrant autour de lui, et jouant un air funèbre au piano. Alors, coupable, forcément coupable. Le procès est conduit pour accabler le fils prodigue. L’avocat de la défense est Maurice Garçon, celui là même qui avait refusé le dossier de Pauline. Jaenada semble ne pas trop lui en vouloir cette fois ci, parce qu’il sauve Henri. Mais malgré tout, le dossier reste à charge, l’erreur judiciaire fut de relâcher l’évident coupable.
Reste la rédemption que Jeanada va nous mener avec sa bedonnante bonhommie tatillone, toutes parenthèses ouverte sera fermée. Dans le Périgord, il a arpenté Périgueux, son architecture judiciaire, a soulevé les colis d’archives de l’affaire et quelques verres de malt. ( évidemment, il était là depuis le début, malgré un clignotant rouge et un pneu dégonflé, sa paranoïa anti provincial, un souvenir du club des cinq comme point de départ, il lui manquait juste la cape de zorro, mais forcément, on l’attendait). L’auteur vous retrousse donc le personnage de mauvais garçon fait à Henri (presqu’à en faire un peu trop quand même, le Henri, c’était quand même pas un ange, Philippe, t’abuse …) Flanqué d’une mauvaise foi convaincue (et presque convaincante), il pointe les vraies erreurs, la cécité volontaire, les on-dits, vous montre les indices dans le bon sens, celui de l’innocence du mauvais fils, mauvais garçon, mauvais père, mari inconstant, auteur d’un seul chef d’oeuvre, le fameux salaire de la peur, dénaturé par Clouzot ( et hop, le metteur en scène au placard avec tous les autres, pas de raison d’en sauver un autre qu’Henri). Et voilà un jubilatoire exercice littéraire de rendu de justice à décharge.
En somme, un livre passionnant. Même si l’effet « redresseur de tort », après la petite femelle, on le voit venir. Et puis le personnage d’Henri, il prend moins aux tripes que Pauline. D’ailleurs on la retrouve au détour de quelques croisements (chez Jaenada, le hasard fait drôlement bien les carrefours), ainsi que Sulak, autre angle de touche des biographies reconstituées que l’auteur semble tricoter à présent de mains de maitre.
Une lecture commune (et une de plus …) avec Ingannmic !
j’ai déjà croisé ce roman et j’ai lu ce que l’on peut trouver sur internet sur le personnage. Je n’ai toujours pas mis ce livre sur mes listes mais je me demande si il ne me plairait pas, en tout cas j’apprécie toujours tes billets
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Je ne voulais rien savoir avant … mais j’ai beaucoup lu après, j’ai beaucoup regardé les photos du manoir aussi, et même je suis allée sur le site de l’actuel propriétaire. le château a été transformé en chambres d’hôtes, ce sont les dernières pages du livre, d’ailleurs où l’auteur y déambule…. Un peu sidéré d’y être rentré … Il n’a plus de location possible, sinon, je crois que j’aurais réservé tout de suite ! Avec Ingannmic !
Pour ce livre, franchement, je ne sais pas si il te plairait, je crois qu’il demande un parti pris radical pro Jeanada … Peut-être la petite femelle te parlerait plus ….
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Beaucoup trop de digressions pour moi chez cet auteur. Je préfère la forme courte, directe, elliptique et le moins que l’on puisse dire c’est qu’avec lui on est très loin de tout ça !
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J’aime ses déambulations, ses parenthèses, ses dévoilements parfois impudiques (mais assez peu dans ce titre, en fait). Et pourtant, malgré tes réticences, je pense qu’il pourrait te plaire, un côté mâle qui s’en moque … Et puis, un auteur qui s’inspire du club des cinq ne peut pas être franchement crédible à dessein, il joue de lui même, et cela j’aime beaucoup !
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Jaenada, et ses digressions, je ne m’en lasse pas
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J’avais survolé ton commentaire, je l’avoue, parce que je savais que j’allais le lire. Mais j’ai pensé à toi en écrivant ma note, et j’ai fait gaffe à ne pas mettre trop de parenthèses, et en me relisant, je vois qu’il en reste encore pas mal ! Tu as raison, c’est contagieux (mais c’est déjà ma tendance naturelle ..). Et je me rends compte que j’en rajoute dans les commentaires maintenant !
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J’ai goûté à la plume de Jaenada avec la meilleure préface lue à ma vie, celle qu’il a écrite pour « Aventures dans le commerce des peaux en Alaska » de John Hawkes.
Il serait temps que j’aille voir ses propres écrits. Ce roman me fait de plus en plus de l’oeil…
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Je ne connais pas cette préface, je suis un peu néophyte en Jeanada, à vrai dire, contrairement à ma complice Ingannmic, qui est une vraie fan. je l’ai découvert avec La petite femelle. Ma première tentative fut un échec total. Après dix pages du Chameau sauvage, j’avais décrété que ce n’était pas un auteur pour moi. Maintenant, j’ai décidé de tout lire. Avec des pauses, quand même. Par contre, je ne sais pas si il faut commencer par celui-ci. Faut voir chez Ingannmic, plutôt.
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Oui, nous sommes d’accord sur le fait que Pauline est bien plus attachante qu’Henri, et j’aurais peut-être dû laisser plus d’intervalle entre les deux lectures. Et j’ai trouvé aussi quelques longueurs dans celui-là, mais j’ai aimé quand même, parce que Philippe, quoi,avec son humanisme, son sens de l’autodérision, sa maladresse…
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J’avoue que j’y ai pensé quand on a décidé de cette lecture commune, je me suis dit que à suivre, le deuxième allait en pâtir, forcément. Il n’y a pas égalité entre les deux personnages, (je me doutais bien que comme moi, Pauline allait te toucher au coeur) alors que la démarche est la même, celle de l’auteur, je veux dire, aller sauver un méchant garçon, une méchante fille des fourches caudines des préjugés. Mais comme je suis en train de devenir aussi fan que toi (décidément, à quel point la drogue livresque nous mène en complicité ..), j’ai adoré quand même cette auto dérision et tout ce que en dit dans ta note !
Quand même, t’imagine, le château en chambre d’hôte et nous dedans, j’y ai pensé en regardant le site !!! Digne de Daphné, non ?
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Livre que j’ai abandonné !
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Quoi ? Mais pourquoi donc ? ( en même temps, je comprends pour les raisons dites plus haut, j’ai cru pendant des années que ce n’était pas un auteur pour moi), et me voilà pleine de regrets et avec une parenthèse en plus … Pfoou …
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J’ai l’impression qu’Ingannmic et toi avait préféré La petite femelle même si vous avez quand même aimé La serpe. Je comptais lire La serpe en premier, pour découvrir le style de ce fameux Jaenada. J’hésite maintenant…
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Oui, on a toutes les deux préféré la petite femelle, sûrement parce que d’abord, comme le dit Ingannmic, c’est un très beau portrait de femmes (et nous, les portraits de femmes, on aime, y’a qu’à voir notre lecture commune de Thérèse Desqueyroux …) Ensuite parce qu’on est toutes les deux des inconditionnelles de Daphné (moi, grâce à elle), de la servante écarlate (moi, grâce à elle, toujours) et en plus, parce que l’on est presque toujours d’accord , et enfin, parce que l’on adore Jaenada et ses fameuse parenthèses !!! (mais, non, c’est pas contagieux !)
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Il est dans ma PAL et je pense me régaler ! ça m’amuse toujours les billets avec parenthèses qui suivent une lecture de Jaenada ! 🙂
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Quelle parenthèses? Je ne vois pas de parenthèses … Mais tu vas te régaler, c’est certain ! (même si il en fait un peu moins ce coup çi)
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Contrairement à Jérôme, j’aime ses digressions.
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Et moi j’adore, vraiment, mais aussi ces sujets ! son parti pris, ses airs de ne pas y toucher … Et d’y toucher vraiment, une lecture qui demande d’avoir du temps devant soi, pour suivre les méandres …
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Dans ma PAL actuellement, je suis bien intriguée par ce roman.
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Passionné et passionnant ! surtout passionné, mais ça le rend passionnant !
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Au niveau digressions, il ne pourra pas faire pire que Montaigne !!!! J’ai noté cet auteur, son premier aussi.
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Montaigne est sans conteste un spécialiste des digressions, mais ce ne sont pas vraiment les mêmes sujets ^-^, chez Jeanada, c’est plus intime, disons ….
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Dans la pile. J’en vois de toutes les sortes et je change d’avis toutes les 8 minutes à savoir si je vais le lire ou non!
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Dans ta pile ? dans la mienne aussi, il y en a de toutes les couleurs … ce qui me permet de changer d’avis rapidement … Hier j’étais motivée pour lire un américain, et bien, je suis partie sur le dernier Gaëlle Josse ! Et en plus, je l’ai terminé dans la foulée !
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