Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre

Le roman s’ouvre sur une scène d’anthologie, son enterrement au vieux Pericourt. On sent bien que l’on enterre pas là seulement un homme, mais aussi une époque et une certaine façon (presque honnête) de faire fortune. Toutes les pompes sont déployées, il y a même le président de la république. Le convoi est rangé en bon ordre dans la cour de l’hôtel particulier et le moindre gland du corbillard est prévu à sa place. Les enfants de chœur en rang par deux, Madeleine, sa fille, et Paul, le petit fils, ouvrant le cortège. Ni fleurs, ni couronnes, ni gerbes et grand croix de la légion d’honneur, ne frémissent aux roulements de tambour de la garde républicaine, malgré le froid mordant.

Et voilà, au bout de dix pages, le ton caustique est donné, aussi mordant que le froid glacial du père Péricourt quand il était encore vivant. On sourit de côté devant les fastes ordonnancés et désuets. On plante le ridicule du décor et du temps. Mais voilà aussi qu’au bout de dix pages, on ne peut plus rien raconter car Lemaitre prend l’enterrement en main pour en faire autre chose ; le début des aventures et tribulations de Madeleine.

La fade Madeleine, la fille de feu son père, la victime de son affreux mari, l’amie de la belle et fidèle Léonce, la mère de Paul …. est au centre ce nouveau tableau au vitriol de l’entre-deux-guerres, de ses manœuvres financières et politiques, de ses abus de pouvoir en tout genre. La charge est tout aussi cynique et rocambolesque que la première, dans Au revoir là haut , notamment grâce aux personnages secondaires, entre autres surprises : une cantatrice de poids et de haut vol, une infirmière polonaise dont la fidélité n’a d’égale que la légèreté de la cuisse.

Madeleine pourfend la corruption pour son propre compte bancaire, mais pas que, et foule aux pieds de l’amour maternel les bassesses des valeurs morales de son clan social.

Réjouissante, comme une gaine de contention jetée aux orties, l’intrigue mêle les ressorts possibles des personnages : André Delcourt, un journaliste intriguant, Charles Péricourt, l’oncle indigne, Gustave Joubert, ex futur fiancé, passent aussi par les fourches caudines de la bourgeoise Madeleine, en goguette pour cause de déclassement. Malheur à qui a touché à la chair fraîche d’un enfant ou à un profit mal acquis.

Un peu moins fresque sociale que Au revoir là-haut, mais c’est un vrai plaisir de voir tomber les figures des guignols, un vrai tableau de chasse à la Monte Christo. … dont on se demande bien comment la trilogie va tirer un dernier fil …

On peut toujours faire des hypothèses en attendant, car l’attente va être longue, hélas …

27 commentaires sur “Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre

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  1. Je crois que c’est le premier avis qui me donne envie de le lire, mais c’est un avis de poids ! Ceci dit, j’attendrai sa sortie en poche, je n’ai pas été très raisonnable ces derniers temps …

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    1. Je comprends bien … Moi même, j’ai reposé le dernier Louise Erdrich dans les rayons, la peine au ventre … Mais la carte bleue au chaud … N’empêche, être raisonnable ça me coûte !
      Merci pour mon avis de poids , je te retourne le compliment. t’avais je dis que j’ai bien pensé à toi en achetant Les ancêtres, la semaine dernière ? je le commence demain, je pense, ou alors les étoiles s’éteignent à l’aube, encore un de tes conseils ….
      Rien à voir, mais tu as vu la note de Keisha sur Mauriac ? j’ai vraiment rigolé en imaginant le Nobel en chaussons devant les vachettes d’Intervilles ! Et le mec qui a créé Thérèse en admiration devant Marie Laforêt …

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      1. Comme je n’ai pas de carte bleue, je me sens peut-être un peu moins coupable quand j’achète des livres (parce que la carte bleue c’est le symbole du déraisonnable débridé). Et comme en plus, les librairies sont parmi les derniers bastions à accepter les règlements par chèque (il faut croire que les lecteurs ne font pas de chèques en bois, et que les voleurs de chéquiers ne lisent pas, alors que moi, si j’avais volé un chéquier, le premier commerce dans lequel je me précipiterais, c’est une librairie…), elles font partie des rares boutiques où je peux aller flâner sans avoir prévu des espèces sur moi au cas où…
        J’espère que L’ancêtre et le Wagamese te plairont, mais j’en suis presque sûre, j’avais noté ces titres chez Sandrine, ils sont complètement différents, bien qu’excellents tous les deux.
        Et oui, j’ai lu le billet de Keisha, qui m’a bien fait sourire aussi, je lirai peut-être ces chroniques !

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      2. Et je te dis pas si je volais une carte bleue … que j’ai la certitude que le volé soit riche … je fais péter les stocks de toutes les librairies indépendantes de ma ville !

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    1. Vous commencez à me faire peur, les lectrices de mes humbles notes … je ne voudrais pas être à l’origine d’une déception … quelle responsabilité ce blog ^-^ ! Ce titre est peut-être moins touffu que le premier du côté de la critique sociale, mais du romanesque, t’en as plein les mirettes ! Un renouvellement dans la continuité, je dirais ….

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    1. Non, non, il faut lire le premier d’abord, sinon le Péricourt, tu perds le goût de la vengeance et là, se serait vraiment dommage, parce que dans le bouquin, la vengeance a un goût jubilatoire !

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    1. Je n’irais pas comme toi, et peut-être Ingannmic, d’après ce qu’elle dit ici, jusqu’à les lire. Je pense qu’il y a trop d’émissions que je ne connais pas, je l’ai vu dans ta note, je ne suivais pas tout (mais quand même un peu, vue ma génération).
      Par contre, ce que j’ai retenu aussi est que le prix Nobel, gaulliste et catholique se pare de certaines nuances dans ta lecture. Et c’est vraiment ce que j’avais retiré de notre opération mémorable : Mauriac n’est pas aussi poussiéreux qu’on ne le pense, c’est un grand écrivain !

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    1. Tu es persuasive pour l’adaptation en BD, et pourtant, je sais que je ne succomberais pas (enfin, je dis ça ce soir, mais s’il me tombe sous la main …. genre un hasard …).. Et le temps, il y en a pour le lire, juste moi, je n’ai pas résisté, et franchement, je n’en attendais pas autant de la fade Madeleine !

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    1. Pas la peine de se replonger dans le premier, je t’assure ! juste les Péricourt dans la tête et après, les autres personnages sont presque tous nouveaux, il reste Léonce, qui devient centrale et prend un relief assez femme fatale très vintage … et deux ou trois autres dont je ne dis rien, pour pas gâcher !

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    1. Je ne voudrais pas avoir l’air d’insister, mais non seulement, ses livres sont plein d’humanité et de révoltes, mais en plus le gars, il a l’air de vraiment y croire et là évidemment j’adore !

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  2. J’ai tellement aimé le premier que j’ai préféré attendre un peu avant de lire ce deuxième tome (sans doute par peur d’être déçue). Je me disais que je patienterais tranquillement jusqu’à la sortie poche… Je dois toutefois reconnaître que des avis comme le tien mettent ma volonté à rude épreuve !

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