Ni juge ni soumise, Jean Libon, Yves Hinaut

Pour ceux qui se souviennent de l’émission des années 1990, « Strip tease », ce premier long métrage en respecte tous les codes (et pour cause, ce sont les mêmes auteurs). pas de musique, pas de voix off, pas de commentaires, la caméra vous laisse seul face à Anne Gruwez, juge d’instruction à Bruxelles. Le film se déroule essentiellement dans son petit bureau où défilent les coupables cabossés auxquels elle a affaire jours après jours.

La caméra est juste à leur hauteur, celle de l’humain, sordide, effrayant, pithoyable, touchant, incohérent, perdu, d’une mauvaise foi si mauvaise qu’elle en devient drôle, si mauvaise qu’elle se fait servile ou agressive, ou honteuse, imformulable. Face à eux, madame la juge, décide, tranche, rudoie, secoue, interroge, note, questionne et surtout écoute.

Son phrasé est direct et peu orthodoxe, il peut donner lieu à des scènes ubuesques, à la limite d’une forme de surréalisme belge de l’absurde, et pourtant, tout est vrai. Les saynètes des entrevues dans le bureau sont ponctuelles, le fil rouge est un cold case que la juge tient à faire aboutir : le meurtre de deux prostituées, vingt ans auparavant, et dont l’assassin pourrait se retrouver grâce aux nouveaux moyens d’investigations dont l’ADN. Pour ces recherches là, madame la juge est assistée d’une équipe, pour le quotidien des interrogatoires, elle est seule. On aperçoit de temps en temps un greffier goguenard qui fait contre point à la théâtralisation de madame Gruwez dont on ne sait si elle est involontaire ou rendue nécessaire, pour se détacher des faits sordides

Son discours décape la justice de sa froideur, son bureau est un microcosme inquiétant de l’état d’une société que l’on voudrait bien être une déformation de la vraie, mais non, comme le souligne les auteurs de ce documentaire, la vérité est pire que la fiction.

Si ce documentaire peut soulever nombre de critiques et d’interrogations (les réseaux sociaux en débordent déjà, semble-t-il), il a le mérite de montrer ce qu’il y a derrière le voile opaque du traitements des crimes et délits, en vous laissant seul juge de la morale à donner.

 

12 commentaires sur “Ni juge ni soumise, Jean Libon, Yves Hinaut

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  1. S’il passe près de chez moi, j’irai le voir. Je n’en ai pas encore entendu parler. Je n’ai pas regardé l’émission dont tu parles. Bof, moi, c’est toute l’administration que je trouve kafkaienne, que ce soit la justice ou le reste…

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    1. Je ne sais pas comment fonctionne la justice chez toi. Ce reportage montre une juge d’instruction belge, je n’y connais pas grand chose, mais je pense que c’est assez proche de notre juridiction française. Et plutôt que le fonctionnement de la justice, ce qui est montré, c’est celui de nos sociétés. Par exemple, sur les réseaux sociaux ce qui est beaucoup critiqué, c’est que les auditionnés soient tous d’origine non belges, des immigrés, quoi. En clair, est-ce un choix ou un constat ? Le choix ne parait pas possible, vus les réalisateurs. Le constat fait peur. Il y a par exemple un condamné qui menace la juge de partir en Syrie pour mieux revenir la buter. C’est un des moments qui m’a le plus gênée. Mais elle répond par l’humour. Çà fait passer.

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  2. Ton billet est parfait. Je n’étais pas une téléspectatrice de « strip-tease » donc je découvrais. J’ai été scotchée par cette juge à l’humour ravageur ; gênée à d’autres moments où elle m’a paru décalée, mais c’est quand même une sacrée tranche de réalité.

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    1. Merci pour le compliment, je le prends avec d’autant plus d’importance, que, en écrivant cette note, j’avais l’impression de marcher sur des oeufs, Entre l’humour et le compte rendu d’une justice nécessaire, je ne savais pas forcément quoi penser. En sortant j’étais jubilatoire, ou presque, deux jours après, moins … Pas sur la qualité du documentaire, mais sur sa portée. Ne risque pas t’on ne n’y voir seulement seulement que le portrait d’une juge atypique ? Alors que les accusés méritent aussi écoute et attention. Ce qu’elle leur donne, mais nous, qui rions à leur misère, en quoi sommes nous légitimes ?
      Pour strip tease, tu peux en découvrir plein sur you tube, et il y en as des très drôles, mais toujours atypiques dans le ton.

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    1. Je n’ai pas vu celui de Depardon, je l’ai loupé. Mais commençant un peu son parti pris, je pense que là, la vision est très différente. Si tu aimes le ton strip tease, tu peux tenter, sinon, vaut mieux passer, parce que plus j’y réfléchis, plus je vois où l’angle d’attaque peut déranger … sans revenir sur la qualité du documentaire.

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  3. Un ami me l’a fortement recommandé. En déplacement à Marseille cette semaine, j’ai vu qu’il passait dans le cinéma de quartier où j’ai fini par prendre mes habitudes… je vais en profiter pour aller le voir !

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    1. Et moi, j’ai dégoté le documentaire de Depardon ! Je ne sais pas si tu l’as vu, le copain qui me le prête ma dit que c’était l’antithèse de celui-ci. L’avis de Luocine m’a intrigué, et j’espère que tu publieras ton avis sur celui-ci !

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      1. J’ai eu de la chance j’ai pu aller le voir pendant le printemps du cinéma… je rejoins ton avis et ton ressenti. En effet, on ressort du film en en riant presque encore, retenant surtout la truculence et l’atypisme du personnage de cette juge auquel on aurait du mal à croire s’il était fictif ! Et puis quand le rire retombe, on se sent, oui, un peu gêné aux entournures, parce qu’on se demande ce que ça dit de nos sociétés. Et que dit cette dimension souvent pathétique, parfois détestable, et effrayante de ces prévenus, sur notre humanité ?
        Comme toi, je suis persuadée que les réalisateurs n’ont pas choisi ceux qu’ils mettent en scène… ils auraient d’ailleurs pu le faire dans l’optique de ne pas donner du grain à moudre aux racistes et nationalistes de tout poil. Je trouve assez courageux -ou inconscient- de leur part de se contenter de montrer des faits, en laissant le spectateur seul responsable de sa capacité à une analyse raisonnée…

        Quant au Depardon, oui, il est différent, mais en est-il vraiment à l’opposé, je ne dirais pas ça… en revanche, la posture des juges y est différente : ils sont plusieurs à être filmés, et certains sont plus empathiques que d’autres, mais ils ont la plupart une attitude très administrative, voire indifférente à celui ou celle qui leur fait face, qui va en effet à l’encontre de la gouailleuse belge. Et à l’inverse, côté « patients », on est purement dans la détresse…

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  4. J’ai regardé plusieurs extraits d’émission où les auteurs parlent de leur démarche après les critiques que le film a rencontré, ils assument leur choix, quitte à se faire bousculer. Ils savent que leur démarche dérange et c’est justement ce qui la légitime pour eux. Un brin provocateur, mais on peut apprécier l’absence de moralisme, et c’est mon cas. J’aime pas quand on me dit quoi penser. Le copain qui va prêter le Depardon m’a prévenue, « ça va t’énerver » … Je reste quand même curieuse de voir.

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