La nuit du bûcher, Sandor Marai

Le roman se présente comme une longue lettre, une confession d’un moine espagnol qui fut un employé modeste, mais zélé et consciencieux, de l’Inquisition. Il vient d’Avila, et écrit depuis la Genève de Calvin à son frère pour lui expliquer son exil définitif et sa conversion en humble manipulateur de caractères d’imprimerie.

Entre son départ de sa communauté religieuse en Avila et son installation en Helvétie protestante, le moine espagnol a séjourné à Rome, la Rome papale de l’Inquisition généralisée. pendant plus d’un an, en ces années de la fin de la Renaissance et de la Contre Réforme triompphante et sûre de son bon droit. Michel Ange est mort, et avec lui quelque chose de cet humanisme qui fit vibrer les couleurs des fresques et donna aux statues la douceur de la Piéta.

Il est mandaté pour étudier les méthodes italiennes, comment torturer, comment reconnaître l’hérésie, la traquer, mais surtout, comment ensuite amener le coupable à la confession sincère et convaincue, comment lui permettre de mourir en l’ayant convaincu qu’il était dans l’erreur, que sa mort est une justice nécessaire et non une exécution. Mais les condamnés résistent, tergiversent, se raccrochent à la vie, alors pour leur dernière nuit, rentrent en scène les confortatori. Il s’agit d’une petite communauté de laïcs, aux motivations obscures, souvent à l’haleine avinée ou ailée,  qui agitent les flammes de l’enfer avant d’allumer celles du supplice dernier. C’est auprès de ces quelques hommes que le moine espagnol apprend, compare, soupèse les différences entre la ferveur espagnole et la froide logique romaine.

Rome est plombée par la délation, l’inquisition dévore les âmes, corrompt les familles, mais dans la salle de l’oratoire de la confrérie de San Giovanni Decollto, où les confortatori se tiennent, cette pesanteur est feutrée, tamisée par les considérations pratiques qui habitent le moine attentif à bien faire et à bien penser. Jusqu’à la veille de son départ, où il demande à assister à la séance de confession d’un hérétique singulier, G. Bruno, qui résiste à la repentance depuis sept ans. Son excution où Bruno oppose aux fatras de l’orthodoxie un silence humain, fracasse les certitudes du moine espagnol.

Comme une lente et sinueuse maturation, le livre suit les méandres d’un esprit tordu qui adhère sans réserve à la ligne droite d’une conviction, bâtie sur des sables mouvants. Ils finissent par avoir raison de lui, sans révélation lumineuse d’une autre vérité, si ce n’est que la croyance est l’ennemi du savoir, et que l’hérésie pourrait bien se confondre avec la liberté, . Juste par la vision de ce que « ecce homo » peut opposer à la manipulation arbitraire d’une doctrine. Il échappe à cette pieuvre par la fuite, le repli solitaire.

Le style pointilleux de Marai sonde toujours aussi scrupuleusement l’âme et ses mouvements versatiles, infimes, mais le cadre où évolue le personnage, restreint à quelques rencontres et récits d’anecdotes grésillantes, m’a laissée le goût d’une lecture un peu distante ….

L’avis d’ingannmic et de miss Léo

 

10 commentaires sur “La nuit du bûcher, Sandor Marai

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  1. Je ne sais pas si je réussirai à aller jusqu’au bout de cette lecture vu qu’on y parle tortures, autant mentales que physiques mais le thème, bien que glaçant, est intéressant. Je pense toutefois m’abstenir, je suis une âme sensible. Je choisirai un autre Sandor Marai dont j’aime beaucoup la plume.

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    1. Il n’y a pas tant de tortures que cela, en fait … En tout cas, tu restes à assez bonne distance pour que ce ne soit pas insupportable à lire. C’est le propos qui l’est, comme le dit mieux que moi Ingannmic, il s’agit bien d’un enjeu qui dépasse cette période, et de la lutte entre le savoir et la croyance. Et là, on n’a pas fini l’histoire !

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  2. (J’ai toujours un mal fou à accéder à ton blog. Je n’y arrive qu’à partir de liens vers tes articles).

    Moi aussi j’ai éprouvé une sorte de distance, mais pour une raison un peu différente, liée à la nature du personnage, dont on se sent très éloigné. Même à la fin, les raisons de sa fuite font qu’elle ne le rachète pas vraiment à nos yeux, on a l’impression qu’il regretterait presque que la liberté spirituelle de l’homme empêche une adhésion totale et universelle au dogme qu’il ne remet jamais en question, finalement, comme tu l’évoques vers la fin de ton billet, « l’absence de la révélation d’une autre vérité » est en effet très juste.
    J’ai préféré ses titres plus « intimistes », mais j’ai trouvé ce roman très habile, notamment le fait de s’appuyer sur le thème de l’Inquisition pour embrasser la thématique plus large de totalitarisme en général.
    Et Miss Léo a publié son billet hier soir.

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    1. Le problème persiste donc … Je vais faire un appel à l’aide WP …
      En effet, le personnage fuit, mais finalement, n’est-ce pas plus crédible que la résistance …. La liberté lui fait peur, il ne sait qu’en faire et se met au service de l’imprimerie, c’est vraiment intelligent et subtil comme fin. Il a juste saisi qu’une autre façon de penser que la sienne était possible, mais penser hors du religieux n’est pas évident à la fin de la Renaissance…. Il est parfois plus facile de suivre le dogme dominant, et l’évocation dans le livre d’un totalitarisme plus réçent donne au livre une dimension pessimiste, mais juste humaine.
      Un livre que j’ai donc trouvé rudement pertinent, mais assez peu touchant …

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      1. Tu as raison, une fois de plus ton analyse est très juste, j’avais un peu perdu de vue ce contexte de la Renaissance, un peu obnubilée par la portée intemporelle du récit ! Si ça te dis de programmer une autre LC autour de cet auteur (il y a de quoi faire !), je suis partante !

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    1. Il est assez loin des trois autres titres que j’ai lu, effectivement. Je pensais que Marai était un écrivain de l’intime, c’est encore le cas ici, mais avec une dimension politique très pertinente.

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