Albert Chassaing se donne une journée pour régler ses comptes avec sa vie. On est en 1961, il est ouvrier à l’usine Michelin, mais sa réalité est celle d’un paysan auquel la modernité galopante a volé son paysage et les valeurs de la terre, du cerisier, des quelques vignes qu’il soigne. Le remembrement a été décidé, et pour Albert, c’est un démembrement insupportable. Lui, il se sent de l’avant, de l’ancien, pas comme monsieur Job, qui de chiffonnier est devenu antiquaire en faisant le même boulot, mais parce que la vitesse du monde qui arrive n’est plus la sienne.
Sa femme Suzanne, au contraire, se précipite sur le formica et l’électroménager s’introduit dans la cuisine. Elle se confectionne des robes aux couleurs pastel, loin du noir des veuves de guerre dont il reste un spécimen au village, la mère Morvandieu, caricature de l’ancien temps. Suzanne rêve d’un pavillon en banlieue de l’usine, comme celui de sa belle-soeur. Mais ce qui est certain, c’est que ce n’est pas avec Albert qu’elle y accédera.
En ce jour, un événement se prépare, l’arrivée de la télévision chez les Chassaing. Suzanne a tout organisé pour voir le reportage de « Cinq colonnes à la une » où apparaît son fils, Henri, qui fait l’Algérie. Avant que le générique ne martèle ses notes définitives dans la cuisine, devant l’assemblée conviée, Albert met en ordre sa sortie.
Un face à face avec la mère dont la mémoire s’est égarée, les gestes d’un fils avant ceux d’un père pour son cadet, Gilles. Dans cette famille, il y a un fils pour chaque parent, Henri est celui de Suzanne. Il est né pendant qu’Albert était prisonnier en Allemagne, et ma foi, il lui aurait bien suffit à elle. Gilles est le fils d’Albert, il le confie aux soins d’un vieux instituteur, monsieur Antoine, le voisin qui a des livres en pile chez lui, et le savoir faire qui lui manque, à lui, le paysan ouvrier face à ce fils qui dévore les livres sans apprendre l’orthographe sacro sainte de l’école.
En ce jour, Gilles découvre Balzac, Eugénie Grandet et son amour pour son cousin, Charles. A travers les phrases de l’écrivain, il relit son propre monde, ce petit univers de la campagne en Auvergne, juste avant que la page ne se tourne.
Bien que court en pages, le roman est dense en sentiments, resserrés en une seule journée, ils débordent du cadre et sonnent du coup un peu faux par moments. Cependant, cette concentration est aussi celle qui fait la force du propos romanesque et donne à ressentir ce qui a dû être l’immense solitude des vaincus, ceux qui comme Albert, n’ont jamais pu mettre des mots nobles sur leur défaite.
Le dernier chapitre leur donne une belle revanche, tristement historique.
tu en parles très bien, j’ai retrouvé mes émotions en lisant ton billet. J’ai trouvé très fort de rassembler trois guerres françaises dans un seul roman.
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Merci, j’ai lu dans ton billet que l’évocation des trois guerres t’avait intéressée, et en réfléchissant, je me dis qu’en plus, pour chacune d’entre elles, un point de vue en décalage est utilisé, je n’y avais pas prêté attention en lisant le roman.
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Je suis passée à côté de ce roman, et de son suivant. J’en déduis que ce n’est pas un auteur pour moi.
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J’ai failli aussi, presque, à cause du personnage de Suzanne, entre autres, et de la construction en une journée, une journée très intense pour une famille perdue dans un tout petit village auvergnat …
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Je l’avais beaucoup aimé ce roman-là…
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Beaucoup d’éléments m’ont plu comme le personnage de Gilles relisant sa famille à la lumière de sa lecture d’ Eugénie Grandet, et la toute fin, superbe ! Mais quand même pas complétement emballée !
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Intriguant, très très intriguant…
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Tu as peut-être lu aussi le billet de Luocine ? On a publié le même jour, sans le faire exprès ! Elle donne des infos plus claires que les miennes.
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Pas lu, mais j’y vais!
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Rho lalala, je l’ai depuis des siècles dans la PAL celui-ci…
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Pour une fois, il n’est pas resté trop longtemps dans mon tas, ma libraire m’ayant assurée que c’était un de ses livres de chevet … Un peu moins enthousiaste qu’elle mais c’est quand même un roman prenant !
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