Comment t’es venue l’idée de lire ce livre ?
Par curiosité pour la figure de Casanova, mais surtout pour ce que Marai pouvait bien en faire. Ce personnage me paraissait très loin de ce que je connais de son univers (La soeur, L’étrangère, L’héritage d’Esther, Les braises). Et puis, il a toujours l’intérêt de faire une lecture commune avec toi, on avait déjà lu ensemble La nuit du bûcher du même auteur, ce nouveau titre fait comme un fil rouge. On aime bien les fils rouges, même quand ils sont à contre courant, n’est ce pas ?
Si tu devais résumer l’histoire en trois phrases, pas quatre, hein, et courtes s’il te plait, on connait ta tendance aux digressions ?
Casanova arrive à Balzano, petite ville où il provoque une vague de curiosité, après sa fuite des Plombs de Venise, il tente de séduire la servante de l’auberge. L’ombre d’un amour passé le rattape, Francesca, une jeune fille pour laquelle il s’est battu en duel avec son futur mari, le Comte de Parme. Le comte le rattrape, lui propose un contrat, Francesca le rattrape, il passe àcôté d’une forme de rédemption amoureuse. C’est le récit d’un échec à aimer. (quatre phrases !)
Aurais-tu aimé le rencontrer ce Casonova ?
Non, ou alors pour lui voler dans ses plumes de coq qui se prend pour un paon.
Pourquoi cette virulence ?
Le personnage est boursouflé, emphatique, creux et vain. C’est un bavard de peu de foi, à l’arrogance facile car ses proies sont peu combatives, un aubergiste, les habitants de la petite ville sont trop falots pour vraiment compter comme des conquêtes. Casanova éblouit de sa réputation, loin de sa réalité peu reluisante. Menteur, escroc, tricheur. Il m’a semblé que Marai voulait le remettre à sa place. Après tout, le vrai Casanova devait être proche de ce fantoche. Lorsqu’il se retrouve confronté à des interlocuteurs solides, comme une femme qui aime son mari volage et malheureux par dessus toute raison, il se dégonfle, devient muet comme face à Francesca, dans la confrontation finale. Cette ultime tentative pour secouer la poudre aux yeux du séducteur de moins en moins séduisant. Sa passion à elle, incandescente, vibre sur la page. Dans le jeu des masques, l’inversion des rôles le rend ridicule.
Tu peux expliquer ce qui t’a gênée dans le personnage principal et son rapport avec le modèle mythique ?
J’ai dû me rappeler moi même souvent à l’ordre, on ne lit pas un roman pour sa réalité. Marai réinvente le mythe du séducteur et il fallait que je le laisse le faire. Que je l’accepte comme création de l’auteur, et non comme moi, je l’imaginais, avec un peu plus de brio, pas aussi minable. Par exemple dans la première scène de séduction : Casanova se frotte à Thérésa, la servante, l’auteur ne nous en fait même pas une proie alléchante. Le Casanova se contente de ce qu’il a sous la main. Il ronfle d’orgueil et se heurte à l’indifférence. Elle ne fond pas, c’est le flop. (Le Don juan de Molière et les paysannes, pareil, avec plus de panache, quand même …).
Comment trouves-tu le style et la construction de ce livre ?
En général, j’aime bien la lenteur de Marai mais j’ai dû adapter mes attentes à ce ce que je lisais et changer ma perspective . Au départ, j’ai été séduite par l’ idée de l’ arrêt sur image dans la course que fut la vie de son modèle (ou anti modèle), un arrêt entre deux fuites, celle des plombs de Venise, celle vers l’Europe. Un Casanova qui se permettrait un moment d’arrogance, non loin de ceux qui l’ont fait taire, un pied de nez, c’est comme cela que j’attendais ce roman.
L’écriture m’a contredite immédiatement : pour le roman d’aventure, c’était loupé. Une fois Casanova installé dans l’auberge, il fanfaronne d’emblée et ne s’arrête plus.
La suite de rencontres commençant, j’ai cru que ça allait déclencher du romanesque : un barbier en messager sybillin, une mystérieuse invitation très indirecte du comte de Parme ( Parme, en plus, forcément, moi, ça me déclenche du Fabrice Del Dongo …), un ex rival, un rival heureux, vainqueur d’un duel pour la belle et fraîche Francesca, qui est maintenant la femme du comte. Sa très jeune femme même, son profil entrevu la nuit, me fit espérer comme une promesse d’un nouveau duel, d’une revanche, et d’action …
Et non, le belâtre se fait conseiller en relations humaines. Les braves gens du cru ou du plus lointain, défilent sur le petit théâtre de sa chambre. Il fait des moulins à vent de paroles, agite ses manchettes. Il se veut écrivain, en plus. Et le romanesque se dilue dans une digression sur la posture d’écrivain. Lui se dit écrivain de l’action, Il agit, il écrira après. Mais en terme d’actions, il est pauvre.
Quand arrive le comte, qui met un temps fou à monter l’escalier vers son ex rival malheureux toujours possesseur du rêve d’amour de Francesca, je me suis dit que ça allait un peu ferrailler entre les deux. Elle lui a écrit quelques mots, rien que pour lui, et le mari vient porter la lettre et proposer l’ultime marché au séducteur : une nuit qui la comble et basta, tu disparaîs, je me la garde. Tu la combles et tu lui fais mal, je te couvre d’or. L’idée est géniale, ce marché d’amour éperdument romanesque … Mais flop, le duel verbal s’étire sur des pages et des pages, le comte s’écoute parler. Trop de discours, je ne savais plus trop ce que je lisais. L’écriture se gonfle toute seule, s’ampoule, semble se dérouler pour elle même. Des phrases longues, en méandres, les propositions se relient entre elles avec sinuosité. Je me suis forcée suivre les contours , de longs contours….
La plus grande qualité de ce livre, si tu lui en trouves une ?
L’analyse des sentiments amoureux, la complexité du jeu et sans mauvais jeu de mots, du je … C’est fin comme de la dentelle, tortureux ( de torture et de tortueux)
Son plus grand défaut ?
Le je et le jeu s’étalent en un théâtre d’ombres un peu vain
Vu tes lectures précédentes, quels seraient les points communs entre ce titre et les autres oeuvres de cet auteur ?
Pas facile de répondre sans tomber dans les clichés d’un quatrième de couverture … La nostalgie etc … Je dirais l’évocation de moments entre deux, où les personnages pourraient basculer, accepter d’être autre chose que des souvenirs ou des images, ou des rôles, et finalement renoncent à passer le pas. Une littérature du clair obscur tenue par une écriture très subtile, dont j’aime les circonvolutions, mais cette fois ci j’ai buté contre le personnage !
Ah mais c’est très intéressant, en réalité, ce genre de LC, cela met vraiment en lumière nos différences de perception, c’est incroyable ! Contrairement à toi, je n’ai pas eu l’impression que Marai voulait le remettre à sa place, mais plutôt qu’il voulait creuser sous l’apparence présomptueuse et bavarde. Parce qu’en effet, il a quelque chose de pitoyable ce Casanova, mais c’est ce qui me l’a rendu sympathique, finalement ! Et la fin m’a vraiment clouée… je n’ l’ai pas développée dans mon billet, parce que je trouvais que j’en disais déjà trop, mais avec le Comte, Francesca et Casanova, l’auteur déroule trois manière de considérer le sacrifice amoureux… on remet ça quand tu veux, bien sûr !
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On n’aura jamais été aussi divergentes dans nos avis ! Je te rejoins par contre, dans le déroulé du sacrifice amoureux, même si le sacrifice de Casonova, j’aurais tendance à le comprendre comme une lâcheté supplémentaire … Ce que tu disais dans un de nos échanges sur la fin était pourtant super beau … La forme des questions est sympa, elle m’a en tout cas forcée à réfléchir autrement que dans l’expression d’un avis, la rédaction d’un résumé. Partante pour une nouvelle LC, quand tu veux … En plus j’ai oublié deux questions !
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Comme je disais chez Ingannmic, j’adore cette idée d’interview croisée pour parler de ses lectures, en plus les questions sont pertinentes. J’ai survolé les réponses car je compte bien revenir à cet auteur dont je garde un excellent souvenir des Braises.
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Je n’ai pas tout aimé de cet auteur, mais Les Braises est un super souvenir de lecture, de même que L’héritage d’Esther, mes deux préférés pour le moment.
Finalement, ce qui qui m’a le plus plu dans cette lecture, c’est l’échange avec Ingannmic, nos mails et le temps que cela nous a pris …
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