Petite soeur, mon amour; Joyce Carol Oates

Pour cette nouvelle lecture commune,  Ingannmic et moi même avons choisi de nous inspirer d’une liste de questions, parfois un peu déstabilisantes, établies par Sophie Calle dans le cadre d’une de ses interviews (1). Nous n’avons pas tout retenu, et cela fait déjà une note (deux … je viens de lire la sienne en avant première)  assez longues (en fait, je crois qu’elle est pire que moi, comme bavarde)  …  L’idée était de donner la parole au narrateur de ce roman, Skyler Ramplike. Ce personnage déconstruit son autobiographie chaotique en mélangeant le je et le il, j’ai parfois gardé ce parti pris. Les expressions en italiques sont celles que ses parents auraient pu utiliser pour parler de lui.

D’où venez-vous ?

D’un quartier huppé, d’une riche et convenable,  agglomération du New Jersey, Fairs Hills, peuplée de connaissances respectables,  d’une élite sociale qui se retrouve dans des clubs fermés, d’un groupuscule de parents névrosés, obsédés par la réussite, d’une photo, montrant la famille Rampike, posant devant un sapin de trois mètres. Je suis le grand frère de neuf ans à peine, juste sur le bord, supprimable d’un coup de ciseaux. Bliss, ma petite sœur, est solidement encadrée au milieu de parents rayonnants, diadème d’argent sur les cheveux blonds sublimés par les soins d’une spécialiste capillaire, adorable sourire timide accroché aux lèvres subtilement glossées. Ce fut la photo préférée des médias, après le meurtre et ce qui est « l’affaire Bliss », toujours irrésolue, dix ans plus après le matin où le corps a été retrouvé dans la chaufferie de la maison type coloniale des Rampike, les mains attachées avec un foulard rouge.

Quand êtes vous déjà mort ?

Skyler est mort plusieurs fois. Skyler est en morceaux, un puzzle dévasté. Le premier Skyler était le petit homme de maman, il est mort peu après la naissance de sa petite sœur, lorsque la fade Edna Louise, bébé quelconque et pleurant à en agacer les nerfs fragiles de maman Betsey, est montée, à l’âge de quatre ans, sur des patins à glace et qu’elle a eu la grâce tant attendue, là où Skyler avait échoué. Il est mort quand Edna est devenue Bliss, le bout de chou à diadème, le jouet de maman, sa revanche. Skyler est mort le jour, où il n’est pas devenu celui que papa voulait qu’il soit, un comme lui, un battant, un sportif, un Rampike. La dernière mort de Skyler (2) date du 29 janvier 1997, le jour de la découverte du corps de Bliss, dans la chaufferie. Depuis, Skyler est une note de bas de page.

Que sont devenus vos rêves d’enfants ?

Skyler n’a pas eu de rêves d’enfants, sauf celui de ne pas décevoir maman encore une fois, de sortir indemne des goûters rencontres destinés à lui donner une vie sociale normale … ne pas décevoir papa Bix, ne pas avoir peur de lui, de son assurance, de sa prestance, un terminator schwarzeneggerien au sourire éclatant de réussite … Bliss, elle, faisait des rêves, princesse de la glace le jour, somnambule la nuit, elle quittait son lit mouillée d’urine, et de ses rêves éveillés, appelait Skuler à l’aide. Dès fois, il l’entendait, mais pas la nuit où il aurait dû.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres ?

Ma soeur, Bliss, qui glisse toujours sur la glace sur les tabloïds et sur les écrans. Elle glissait et Skyler boite en  faisant des grimaces de martyr, exprès pour nous faire honte.  Skyler est tombé des anneaux dans la salle de gymnastique où il tentait de correspondre au fils que papa Bix voulait, fort et invincible … Il l’était deux secondes avant de se fracasser la jambe en deux morceaux. Mais la salle l’a payé cher, et le prof n’est pas près de retrouver du boulot !

Vous manque-t-il quelque chose ?

Un amour donné et pas perdu.

A quoi avez vous renoncé ?

J’ai renoncé à me tuer définitivement. Je le fais autrement, je me nie. Et j’écris, petite soeur, mon amour, un guide sur comment ne pas faire, ne pas survivre, SKYLER RAMPIKE LE FRERE AINE SURVIVANT DE BLISS RAMPIKE ? LA PRINCESSE DE LA GLACE ASSASSINEE 

Que vous reproche-t- on ?

Des rumeurs disent que j’ai pu tuer ma sœur, une vidéo, tournée par maman Betsey le matin de sa disparition a été détruite par papa Bix. Un manique sexuel a été arrêté et reconnu coupable. Je n’ai jamais été entendu par la justice. Mes parents non plus. On dit que c’est peut-être eux. On m’a écarté, de psy en psy, d’institutions privées en séjours hospitaliers. Bliss ne me reproche rien, elle me tourne autour. Mon ADN était sur le foulard. Je ne me souviens de rien.

Que défendez vous ?

Skiler se défend des images diffusées par les médias, des images de sa sœur virevoltante en tenue sexy, maquillée, coiffée, coachée par maman, les piqûres qui lui faisaient mal aux fesses, les bleus cachés par le fond de teint. Je me défends par l’obsession, la répétition, je tourne, moi aussi, en boucles.

Jugez vous votre sort enviable ?

Si la photo de Noël devant le sapin avait été le reflet de la réalité, j’aurais pu être envié. Je l’ai été parfois, mais seulement d’avoir la chance que Bliss soit ma soeur. Quelle petite fille adorable, comme tu dois être fier d’elle, elle est si courageuse ! 

Qu’êtes vous capable de refuser ?

De parler, de moi, d’elle, à eux, Betsey et Bix, qui continuent sans moi. Elle, surtout me répugne. La voir dans les talks shows, formes généreuses étalées, d’années en années, plus généreuse et larmoyante qu’une dame patronnesse évangéliste, à la bouche boltoxée mouillant le nom de dieu dans ses affaires … La ligne des produits Touche Céleste, conçue par Betsey Rampike elle même,vous éloignent de la vallée de l’ombre de la mort jusqu’aux services qualité de vie qui peuvent vous organise des obsèques de rêves au prix catalogue, incluant le manuel des recettes de la jeune ménagère, toujours de circonstances pour consoler les âmes égarées dans la douleur … 

Le questionnaire de Skyler version Book’ing est ici !

 

(1) pour plus de synthèse, voir chez elle, comme d’hab, elle est d’une extrême précision, alors que moi, je vais encore aller me paumer dans les parenthèses et les notes de bas de pages (mais là, j’ai une bonne raison, c’est la faute de Skyler, tout est de la faute de Skylander, de toute façon)

(2) à ce jour en tout cas de la fin du roman

 

13 commentaires sur “Petite soeur, mon amour; Joyce Carol Oates

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    1. Le roman, dans ces répétitions, ces ressassements lui donne une profondeur à Skyler qui le rend vraiment touchant, un très beau roman sur la manipulation des enfants par des parents obsédés par la réussite et les apparences. Une de nos meilleures lecture commune, je pense ! Et aussi pour l’expérience de ce questionnaire. Pas certaine effectivement qu’il puisse fonctionner sur un autre titre. Faut du torturé !

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  1. J’adore ce principe du billet questionnaire mettant en scène le narrateur du livre, mais comme je disais chez Ingannmic, j’ai l’impression qu’il vaut mieux l’avoir lu pour pleinement apprécier les réponses. Pas évident comme « exercice » en tout cas.

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    1. Pas évident, non, la rédaction a demandé de faire tourner les neurones un peu différemment, mais on a y pris beaucoup d’intérêt (je me permets Ingannmic ?) Désolée par contre que cette forme laisse de c^té ceux qui n’ont pas lu le livre. Je pensais avoir évité ce risque en restant factuelle quand même. Bon, j’espère que tu le liras quand même …

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  2. Ayant lu ce Oates, je n’ai pas perdu le fil des réponses de Skyler. Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un billet aussi rafraîchissant! Chapeau bas, miss. Et la photo choisie m’a tordu de rire!

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    1. C’est tout à fait l’envers d’un rêve, ce roman ! Je n’aime pas forcément tout de cette auteure, en plus, elle publie tellement, que c’est difficile de vraiment la suivre. Quand elle bascule trop du côté fantastique et fantasmagorique, je’ai du mal à la suivre. Mais ici, ce n’est pas le cas, juste caumardesque par moment.

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    1. Merci ! Peut-être que le livre se prêtait particulièrement bien à cette forme, aussi … En tout cas, la, c’est du bon Oates ! La forme un peu labyrinthe du roman donne un grande force au personnage de Skylander.

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  3. Tiens, tiens … merci pour l’indication, je me suis demandée d’ailleurs pendant la lecture de ce roman, s’il n’y avais pas une part autobiographique … Je vais sûrement lire « Paysage perdu », alors.

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