Notre quelque part, Nii Ayikwei Parkes

Un roman qui fait se côtoyer deux genres : le polar scientifique à l’anglaise, et le roman social ethnologique, les deux sauces sont appréciables mais se fondent mal entre elles, comme les deux mondes qui sont juxtaposés : Accra, sa modernité corrompue par les pires des valeurs du post colonialisme, et le petit village de Sonokron, laissé, pour le moment, tranquille dans son jus traditionnel.

La tranquillité est mise à mal par la curiosité d’une maîtresse préférée d’un gros ponte de la capitale qui va fourrer son nez dans une case, et en ressort aussitôt, affolée par la puanteur de ce qui semble être des restes humains en décomposition. La police de la grande ville débarque alors dans un tohu bohu d’incompétences frénétiques. Le village est fouillé, retourné, en vrac, les preuves éventuelles piétinées, sous le regard goguenard de Yao Poku. le vieux chasseur qui philosophe tout seul sous son arbre, à l’aide de sa calebasse de vin de palme, en regrettant avec ironie et flegmatisme, le temps où les jeunes savaient se tenir correctement, sans s’attifer de grands airs, sans se croire « ceux qui ont inventé la connaissance ».

Le village regarde, collabore, mais les policiers de la grande ville ne savent où chercher le mystère, vu qu’ils ont oublié l’imaginaire ancestral, les rêves et les légendes, ces policiers là. Alors, comme le mystère doit être résolu, à cause de la frayeur de la maîtresse préférée, on va aller braquer les compétences de Kayo, médecin légiste en Angleterre. A Accra, la police avait refusé sa candidature officielle, pas assez soutenue par les circonvolutions officielles, et il exerçait son savoir faire en sous main, dans un laboratoire d’analyse.

Plus ou moins kidnappé, donc, Kayo rejoint le village, contraint par un chantage tiré par les cheveux, quand même, et tente d’y déployer sereinement ses méthodes rationnelles, sous le regard, toujours goguenard, du vieux chasseur. Kayo est dans un premier temps, un Sherlock Holmes qui se prend au sérieux. Le village veut bien le laisser faire, puis le fait vagabonder, à coups de vin de palme, dans l’obscurité luxuriante et sensuelle de la case de d’Esi et de sa mère. La peau de la jeune femme brille de tous ses tatouages, le fufu sauce palabre coule à flot et, ma foi, les nuits du scientifique se peuplent peu à peu d’images et d’ échos plus mouvants. L’imaginaire du conte se glisse dans les failles et brouille finalement les déductions vérifiables.

L’opposition entre les deux mondes est radicale, seul le jeune homme se laisse glisser dans celui des ancêtres et cela donne un roman schizophrène, finalement, comme l’est peut-être d’ailleurs la réalité du Ghana, où le passé est méprisé au profit du pire de la modernité, médiatisation, manipulations, intimidations et loi du fort.

Les personnages fictifs ici, s’en sortent avec un sourire en coin, et des pieds de nez, mais le terrain s’effrite, malgré tout, devant eux.

 

17 commentaires sur “Notre quelque part, Nii Ayikwei Parkes

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    1. C’est drôle, je n’ai pas souvenir d’avoir vu ce titre chez toi, ni nul par ailleurs d’ailleurs …. me voilà coiffée au poteau, alors que je pensais être super originale ! Décidément, rien ne t’échappe. Je suis totalement incapable de juger la qualité de la traduction, mais pour celle du livre, j’ai été un peu déstabilisée par le mélange des genres, le côté radical de l’opposition entre les deux mondes, le rural et le citadin, la corruption et le rêve. Mais sans doute est-ce révélateur d’une réalité, que là non plus, je connais pas.

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      1. En lisant (relisant, en fait, dans les commentaires, j’avais dit que je notais, ce que je fais la plupart du temps, à la va vite sur un papier que j’égare …), je vois que ce qui m’ a vraiment manqué pour vraiment apprécier ce joli texte est la connaissance du terrain. Je me suis trop focalisée sur l’aspect purement littéraire, sans voir vraiment l’arrière plan. Une lecture à courte vue d’occidental, méa culpa ! Par contre, je te rejoins sur l’idée que que le mode de vie traditionnel paraît plus « sain » que la vie dans la capitale. Mais comme j’ai vraiment, mauvais esprit, je me suis dit qu’il était enjolivé. Par contre la langue du vieux conteur est effectivement un régal !

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  1. Bon bah décidément, on n’a pas trop de chance en ce moment avec nos tentatives d’incursions en littérature africaine ! J’ai un roman de Scholastique Mukasonga dans ma PAL (et un de Karel Schoeman, mais j’ai du mal à considérer comme africain les blancs d’Afrique du Sud, ce qui est sans doute stupide, ce serait comme de dire qu’un noir ne peut pas être français…), j’espère que ma lecture en sera plus fructueuse !! Si une LC te dit, d’ailleurs…

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    1. Je me suis dit la même chose en voyant ta note, même si le titre « Notre quelque part »n’est pas un de mes coups de cœur, il est cependant intéressant de voir cette dichotomie entre le deux mondes fonctionner. Mukaonga écrit en français, je crois ? J’avais beaucoup aimé Notre Dame du Nil. Ses autres titres sont sur mes étagères depuis un petit moment, maintenant. Pour l’Afrique du sud, je pense que sa littérature est un peu à part, plus facilement éditée en Europe sans doute que celle de l4frique subsaharienne, l’histoire coloniale n’est pas vraiment terminée !!!!
      Et pour la LC, oui, ce serait bien de se dégoter un titre de ce coin du monde, mais aucune idée pour l’instant ….

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      1. Ah, c’est justement Notre-dame du Nil que j’ai dans ma PAL… Je vais aller farfouiller un peu chez Gangoueus, ou dans la liste d’auteurs africains proposés par Sandrine pour l’activité Lire le Monde, et je te fais une proposition !

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