Les falsificateurs, Antoine Bello

Brillant, troublant et jubilatoire, ce roman est une magistrale entourloupe qui raconte des entourloupes, c’est un roman en trompe l’œil, un nautile. On va de spirales en spirales pour arriver nul part encore car les héros, quand ils nous quittent, sont en partance pour de nouvelles aventures.

Les héros sont les falsificateurs (il n’y a pas qu’eux, mais disons que eux, ils sont identifiés) . Ils travaillent, à différents niveaux, dans différentes sections, et pour des raisons différentes, pour le CFR, le Consortium de Falsification du Réel, un organisme tentaculaire qui œuvre dans l’ombre de la réalité du monde. Eux mêmes, n’en connaissent ni les motivations, ni le fonctionnement dans son intégralité, mais, utopistes ou idéalistes qui s’ignorent, tous mettent tout en œuvre , même au prix de leurs doutes ou de leur intégrité morale, pour le faire fonctionner. Pour ne pas trop en dire (parce que ce serait dommage, mais aussi très long), disons que le CFR engage des agents dont le rôle est d’inventer des scénarios qui en changeant le passé, donnent une autre lecture du présent et engagent l’avenir. Des scénarios crédibles, avec des sources vérifiables, qui brouillent le vrai et le faux.

Le narrateur est l’un de ces falsificateurs, Sliv. Il vit à Reykjavik, dans les années 90 et vient d’obtenir une spécialisation en « conflits territoriaux ». Il est embauché par Gunnar Eriksson dans le cabinet Baldur comme chef de projet du cabinet d’études environnementales, voyages et salaire compétitif. Gunnar lui présente le rôle du cabinet ; lorsqu’un promoteur envisage un projet de grande envergure pouvant avoir un impact sur l’environnement, il s’agit de jauger l’impact des risques en recueillant différents avis, en inspectant le terrain, puis de livrer le rapport au parlement et de s’en laver les mains. La première mission de Slim semble de tout repos, A Sisimut, en plein Groënland, Sliv et son coéquipier, comprennent rapidement que personne n’attend vraiment leurs conclusions et tout est joué par avance. Parce qu’il faut un rapport, Sliv en fait un qu’il remet à son supérieur.

Sauf que Gunnar modifie deux informations, deux informations sans importance, notamment une date sur une plaque d’inauguration, puis assure à Sliv qu’il va les rectifier. Sauf qu’il ne rectifie pas. Le rapport est juste un petit peu faux, juste une date, une goutte d’eau, dans une station inconnue, dans un rapport que personne ne lira attentivement. Sauf que cette date, cette plaque, pourront être un point crucial d’une autre histoire, une histoire qui reste à inventer, où la date fera un antécédent, et cet antécédent pourrait faire une source, et la source, une preuve ….

Tel est le rôle que Sliv accepte sans savoir vraiment à quoi il s’engage, truquer la réalité élaborer une histoire parallèle, donner une chance à un explorateur qui n’a rien découvert de sauver une tribu inconnue, à un état de ne pas envoyer un chien en orbite …. De scénarios en scénarios, le roman mène ainsi à un doute perpétuel sur la marche de l’histoire et les implications du choix individuel ou collectif, la responsabilité et l’éthique : Sliv sauve un peuple de l’oubli, les Bochimans, à la structure sociale archaïque et socialement condamnée, et moralement condamnable selon les critères européens, le sauvetage orchestré par lui, sans la volonté des Bochimans, est il justifié ? Doit-on faire avancer l’histoire ou la laisser dévorer ceux qui l’ignorent ?

Les scénarios élaborés par Sliv et les autres fonctionnent, de plus, dans le roman, comme des histoires dans l’histoire, des palimpsestes où se greffent des mises en abîme aussi vertigineuses que ludiques.

Brillant et jubilatoire !

 

17 commentaires sur “Les falsificateurs, Antoine Bello

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  1. c’est un de mes auteurs fétiches, car j’aime beaucoup la façon dont il raconte les histoires; Je sais donc que je lirai ce roman, ce que tu en dis me plaît beaucoup.

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    1. Il est en train de devenir un de mes auteurs fétiches aussi ! Même si ce n’est que le deuxième titre que je lis, j’aime beaucoup les thématiques qu’il aborde et l’originalité de ses « entourloupes » narratives.

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    1. Ben oui, parce qu’il est drôlement bien ! Je me faisait une fausse idée de cet auteur, persuadée que c’était rop intello pour moi, mais en fait pas du tout, c’est une machine à histoires.

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  2. Comme il est sur ma PAL, je n’ai lu que le début et la fin de ton billet, déjà très parlants ! Javais vu chez A_girl que la suite n’était pas tout à fait du même niveau, mais qu’il n’est finalement pas indispensable de la lire..

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    1. Je t’aurais bien proposé une lecture commune pour le deuxième, mais vu que tu n’as pas lu le premier, ça va pas coller ! Je vais vir ton programme chez toi et je te proposes rapidement quelque chose, à moins qu’un titre de la rentrée ne tente ? Le dernier Coe, par exemple ?

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      1. J’accepte avec plaisir ta proposition de LC, mais Coe ne me tente pas trop, dans la mesure où j’ai déjà un de ses titres sur ma PAL. Mes lectures de septembre sont déjà plus ou moins programmées, avec le Mois américain. Du coup, on pourrait aller voir vers d’autres horizons. On avait évoqué en début d’année la possibilité d’une LC « africaine ». J’ai ajouté 2 titres sud-africains à ma PAL récemment, dont un qui m’intrigue pas mal : « La voisine », de Yewande Omotoso… bon, je te laisse voir, je suis ouverte à toute proposition !

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      2. Moi aussi je participe au mois américain et pour la première fois ! J’ai programmé des titres, normalement quatre, peut-être cinq, je verrais. Mais de toute façon, j’ai commandé aujourd’hui « la voisine », moi aussi très intriguée par la présentation de ce titre que j’ai lue sur Babelio. Donc, on part là dessus ? Pour octobre ? Comme tu veux !

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