Trouble, Jeroen Olyslaegers

Il y a dans ce roman un procédé similaire à celui utilisé par Jonathan Littell dans Les bienveillantes, puisqu’il s’agit du récit à la première personne des agissements d’un salaud pendant la seconde guerre mondiale. Cependant,  il s’agit ici d’un salaud ordinaire, un Lacombe Lucien qui vit à Anvers, et qui plus est, un Lacombe Lucien qui n’aurait vraiment pas choisi son camp, entre collaboration inactive et résistance par indifférence.

Wilfried Wils est le salaud, il raconte son histoire à son arrière petit fils. Ayant été mis au ban de sa propre famille, ils ne se connaissent pas. Sa voix de vieil homme est crépusculaire, il prend parfois des accents hallucinés, parfois incantatoires, mais jamais ne s’apitoie ni sur lui même, ni sur les autres, ceux qu’il a côtoyé en ces temps où la frontière était poreuse entre le bien et le mal. Lui, il n’ a rien décidé, il a juste glissé d’un camp à l’autre, poussé par le vent de l’orgueil ou de la lâcheté.

Au début de l’occupation nazie, Wills a 22 ans. Il se veut poète et sent pousser en lui son double, qu’il nomme Angelo. Angelo est plutôt pervers comme ange, pas vraiment gardien, c’est lui qui ricane quand la sentimentalité affleure en Will. Dans la vraie vie, Wills a un uniforme de policier, il tente d’en endosser le rôle officiel mais en ces temps d’occupation, la police d’Anvers n’a que peu de pouvoirs. Elle obéit aux ordres des nazis tout puissants et méprisants qui ont pris possession de la ville comme on prend une putain. Wills reste à la surface, des idées comme des actes,  traître à tous, finalement, tant ses sinuosités sont illisibles.

Par amitié, il est lié à Lode, policier lui aussi, et peut-être résistant, on ne sait pas trop. Il connaît un juif plus qu’un autre et sa désobéissance ne semble obéir qu’à ce motif aléatoire. La belle Yvette, la sœur de Lode, flirte avec Wills, qui se laisse faire, même si parfois, il semble quand même prendre goût au jeu du frotti frotta. Entre loyauté et méfiance, Lode et Wills font un pas de deux. le même que Wills danse aussi avec son ancien professeur de français, Félix Verschaffel qu’il surnomme  » Barbiche teigneuse ». Et celui-là clame sans honte son antisémitisme et met très activement en oeuvre sa collaboration convaincue et zélée.

Qui plus est, Wills met ses pas dans celui de ses coéquipiers, suivant aussi bien celui qui terrorise les nazis de circonstance qui veulent marquer la ville de slogans pro allemands, qu’un autre, partisan acharné de « ne pas en faire tout en fromage ».

Le personnage n’est pas le seul à tanguer, la ville d’Anvers aussi : ses beaux hôtels comme ses bas fonds miteux sentent les remugles des alcools servis aux occupants, les courbettes des bourgmestres, les valses des femmes, les lits des demeures laissées vides après les rafles.

Quant à Wills vieillissant, celui dont on entend la voix, l’auteur ne lui a laissé aucune chance, baudruche gonflée d’orgueil, poète à peine reconnu, piètre mari, fils médiocre et père méprisé, cynique et sinistre,  il prend finalement en charge sa seule position fiable : une forme de lucidité désabusée, sa seule grandeur par rapport à ceux qui avaient choisi le mauvais camp, ou à ceux qui en ont changé à la libération.

Le constat est connu mais quand même amer, l’humanisme a tendance à se dissoudre dans la mauvaise foi … voire dans la bonne. Comme quoi, il faut en prendre soin et faire gaffe.

Une participation au mois belge, sans doute la seule, hélas …

22 commentaires sur “Trouble, Jeroen Olyslaegers

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  1. Je souris, en lisant ton billet, tu as la capacité à dire en une phrase ce que je mets un paragraphe à exprimer ! Je n’en ai pas parlé dans mon billet, mais j’ai aimé aussi l’incertitude que laisse par moments filtrer l’auteur, et de plus en plus en s’approchant de la fin, quant aux dires de son personnage, qui perd partiellement « conscience »…

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    1. Ben, tu vois, moi, c’est l’inverse ! A chaque fois que l’on fait une lecture commune et que je lis ta note, je me dis, « mince, qu’est-ce qu’elle explique bien, c’est quand même plus clair que mon charabia ». C’est pour cela que je n’ai pas lu ta note sur ce titre avant d’avoir publiée la mienne, sinon, j’allais faire un complexe …
      ( le pire étant que je suis parfaitement sincère !)
      Et pour l’évolution du personnage, je te rejoins, il est de plus en « trouble » et de plus en plus dérangeant du coup, vrai ou faux salaud ? C’est ce que j’ai aimé dans ce roman.

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    1. Merci du compliment, le livre mérite d’avoir été amplement lu, visiblement l’année dernière, lors du challenge littérature belge. Il venait toutefois juste de sortir, si mes souvenirs sont bons.
      je l’avais découvert pour ma part à saint Malo, au festival Etonnants voyageurs et l’auteur fut passionnant à écouter.

      Aimé par 1 personne

    1. A Saint Malo, l’année dernière, l’auteur s’était d’ailleurs dit fort satisfait de cette traduction de son titre, il avait longtemps expliqué pourquoi, mais j’avoue que ma mémoire est défaillante !!!
      Il a expliqué aussi que son livre avait provoqué quelques remous dans le pays d’Anvers. Pas étonnant !

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    1. Un hasard que nos deux publications simultanées, mais on est raccord pour dire que oui, c’est un livre peu engageant, noir et qui pousse le lecteur vers des terres peu stables, mais à lire, oui, justement pour cela.

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    1. Merci du compliment ! Ce titre semble avoir marqué, plus que je le pensais, en fait, peut-être parce que j’ai eu tout de suite Les bienveillantes en tête, qui est tellement pire, que du coup, je m’attendais à encore plus sombre !

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    1. Trouble se digère mieux que Les bienveillantes, l’écriture est plus fluide, le salaud ne plonge pas complètement dans la noirceur du mal, comme je le disais dans ma note, c’est un salaud ordinaire ( ou presque) , ce qui fait l’intérêt du texte. mais bon, on n’a pas toujours envie de se coltiner la glaquitude du monde !

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    1. Le roman donne peu d’excuses au personnage, peu d’explications logiques à ses choix, peu d’analyses psychologiques. Il tente de surnager dans le naufrage historique des idéaux, le contraste entre ce qu’il dit de lui et ce qu’il fait montre toutes les failles d’un homme dominé par ses instincts, alors qu’il ne manque ni de culture ni de capacités de choix.

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