Underground railroad, Colson Whitehead

Ajarry a été déportée de son Afrique vers la terre inconnue. Vendu, revendue. A ses cinq enfants, elle a appris l’obéissance, pour les sauver, pour qu’ils obéissent aux maîtres et qu’ils survivent.

La seule à devenir adulte est Mabel, sa fille, et Mabel serait aussi la seule esclave à avoir réussi à s’enfuir du domaine de Randall, en Georgie. Sans doute par le mythique underground railroad, du moins c’est le fantasme qui rôde dans le domaine et entretient le rêve de l’évasion. Cora, la fille de Mabel, lui voue pourtant une sourde rancœur de l’avoir laissée là, dans les griffes des contre maîtres avec pour seul héritage les trois mètres carrés du champ autour de la case de la grand mère, trois mètres carrés d’indépendance pour faire pousser gambos et ignames. Indépendance et biens dérisoires qui vaudront à Cora, une fois la figure protectrice d’ Ajarry disparue, les envies et est à l’origine des violences qui se déchaînent brutalement autour d’elle. D’esclave anonyme, elle est en passe d’être remarquée par les maîtres. Et être remarquée est le pire des sorts; alors Cora accepte l’offre d’un autre esclave, Caesar et ensemble, ils se lancent vers l’inconnu, la liberté, les états du nord. Par le underground rail road, si il existe …

Au fur et à mesure du récit, selon ses haltes, plus ou moins longues dans des refuges précaires, instables ou trompeurs, Cora comprend l’étendue des rouages qui maintiennent l’esclavage, et dont l’origine est la peur, l’immense terreur, la hantise des blancs, le fantasme du déferlement noir, de la bâtardise, Les fils de Cham sont nombreux, bien plus que leurs maîtres, mais ils ne savent pas. Certains finissent même par accepter, ou fuir dans la folie. et peu soulèvent les trappes qui cachent les stations souterraines et les draisines rouillées qui s’enfoncent dans la terre pour atteindre l’autre côté.

Une halte de Cora et de Caesar représente particulièrement une chausse trappe dans l’illusion d’une ére nouvelle. En Caroline du sud, s’est établi une forme hypocrite d’une communauté presque mixte mais où Cora et plusieurs noires, comme elles, sont réduites à reproduire, derrière les vitrines d’un musée, les images idéalisées de leur servitude : une région où l’on accepte les noirs, en apparence, pour mieux s’en servir … On comprend alors combien l’avenir est difficile à penser quand le passé est volé, quand la liberté passe par l’acceptation d’être un troupeau domestiqué, une autre cage, finalement que le domaine, mais une cage quand même.

Dans le système de l’esclavage, il y a aussi les chasseurs d’esclaves en fuite et Cora est poursuivie par un des plus redoutables d’entre eux, Ridgeway,   Il porte un collier d’oreilles autour du cou et s’acharne sur Cora pour se venger de ne jamais avoir retrouver sa mère, Mabel. Dans les rouages de la servitude, son rôle est essentiel, il est le tueur d’espoir, le tueur de l’idée même de l’espoir, dans l’esprit de chaque esclave qui voit un fugitif ramené à sa plantation, et être tué par son maître,. C’est autant d’idées d’espoirs qui abandonnent. Et c’est aussi pour cela que Ridgeway traque Cora dans chaque refuge où elle se terre, chaque étape qui la rapproche ou l’éloigne des états du nord, selon la lâcheté ou le courage de la chaîne humaine.

Un roman qui démontre à quel point l’esclavage a corrompu les esprits, tous les esprits, et comment le système a pu être vu comme une fatalité, d’un côté, et un rempart indispensable  à défendre,  à tous prix.

 

 

 

 

28 commentaires sur “Underground railroad, Colson Whitehead

Ajouter un commentaire

  1. J’ai lu ce roman , je l’ai beaucoup aimé et je n’ai pas fait de billet je ne sais pas pourquoi, je vais le relire et réparer cette erreur!

    J’aime

    1. Figure toi que c’est un peu la même chose pour moi …. J’ai lu ce roman il y a déjà un moment et en rangeant ma pile de livres  » à chroniquer », je me suis aperçue que je l’avais oublié. Alors, je m’y suis remise, mais ce n’est pas évident de faire une note très postériori. Un petit défi personnel, j’espère que tu y arriveras !

      J’aime

  2. J’avais bien aimé cette idée de l’auteur, de transformer le mythe de l’Underground Railroad en véritable chemin de fer souterrain… d’autres points m’avaient en revanche un peu gênée, notamment un certain didactisme dans sa façon de vouloir montrer toutes les facettes de la ségrégation à l’occasion de divers épisodes de la fuite de Cora.

    J’aime

    1. Moi, c’est l’inverse, pour une fois ! La transformation du mythe en réalité ne m’a pas convaincue, je trouvais que l’aspect fantastique tranchait trop avec le réalisme des étapes de la fuite, et puis, l’idée de la traque lie le tout quand même. C’est ce fil conducteur que j’ai préféré au final, plutôt que le train.

      J’aime

    1. J’ai mis du temps à me décider moi aussi, le sujet ayant déjà été beaucoup traité. Au final, dans les différentes étapes de Cora, il y a des situations que je ne connaissais pas, comme cette communauté mixte en Caroline du Sud.

      J’aime

    1. J’avais déjà lu des titres où ce train mythique était évoqué (mais lesquels … ?), ce n’est pas l’aspect du roman qui m’a le plus retenu, et j’ai trouvé dommage qu’il soit traité par le rêve …

      J’aime

    1. Sur ce thème, il y a des romans plus marquants, Toni Morisson, évidemment ! Mais ce n’est pas une lecture exigeante, on n’est pas trop secoué, pas comme dans les romans de la grande dame. Home, par exemple, c’est d’un autre électrochoc.

      J’aime

      1. Tu as raison, les romans de Toni Morisson (du moins les trois que j’ai lus) sont autrement plus marquants, mais aussi plus exigeants. Reste que j’ai beaucoup aimé le roman de Whitehead. Sa capacité à se renouveler d’un roman à l’autre m’épate (je pense à l’excellent « Zone 1 » et à ses zombies). Par ailleurs, tu me donnes envie de découvrir « Home ». Je ne l’ai pas encore lu, celui-là.

        J’aime

  3. J’ai lu pas mal d’avis mitigé donc je verrai plus tard si je me laisse tenter ( j’avais lu celui de Tracy Chevalier qui m’avait bien déçue sur le même sujet….)

    J’aime

    1. La dernire fuigitive de Tracy Chevalier ? j’avais bien aimé l’idée de mêler la fuite de l’héroïne et celle des esclaves, j’avais trouvé que le point de vue « en biais » permettait de réaliser le courage qu’il fallait pour appartenir au réseau du « train ». Ce qui est évoqué dans ce roman également, mais de manière moins réaliste,

      J’aime

    1. Oui, l’imaginaire est réservé au train, et du coup, pour moi, c’est l’inverse, je n’ai pas vraiment compris l’intérêt de ce choix narratif qui floute la réalité de ce qui permet à Cora de poursuivre sa route. Mais la réalité historique est prépondérante, le roman permet de saisir les différentes facettes de l’esclavage.

      J’aime

    1. Moi, j’ai bien aimé le personnage du chasseur d’esclave ( oui, je sais, ce n’est pas bien d’aimer les méchants), mais du point de vue romanesque, il permet de mettre de la tension dans la fuite de Cora, comme un diable qui sort de sa boite …

      J’aime

    1. Ce n’est pas un roman très original sur ce thème, mais il tente de « faire le tour de la question ». Comme Ingannmic, ce didactisme m’a parfois un peu agacée. Ce qui peut aussi faire son intérêt paradoxalement, je pense que tout dépend de ce que tu connais déjà de l’esclavagisme, il arrive sans doute un peu tard pour moi.

      Aimé par 1 personne

    1. Il a attendu aussi un bon moment chez moi … Et faire une note encore plus ! Mais c’était un de mes défis du confinement, rattraper toutes mes notes en retard (je n’y suis d’ailleurs pas arrivée)

      J’aime

Laisser un commentaire

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑