La vie obstinée, Wallace Stegner

Joe Allston et sa femme, Ruth ont dépassé la soixantaine lorsqu’ils décident de s’installer en Californie, en pleine nature, avec San Francisco qui miroite dans le lointain. Ils ont pris cette décision comme on part à la conquête d’un nouveau monde, l’ancien ayant un goût de deuils et d’echacs. Mais ils taillent leur nouveau domaine à leur mesure.

Ils ont fait construire un dessus d’un vallon et y cultivent leur tranquillité faite de soins au jardin, qu’ils façonnent, luttant contre l’invasion des espèces sauvages du crû, préservant patio, fontaine, allées dallées, plants de tomates, jonquilles et rosiers des agressions du sumac vénéneux, charançons et autres nuisibles naturels, dont le malin thomomys, ennemi personel de Joe. Autour de leur îlot ( quand même grand comme îlot), bruissent quelques accrochages de voisinage avec les affreux, sales bêtes et méchant Weld qui s’obstinent à travailler leurs champs de collines à coup de bulldozer. Il y a aussi les Lopresti, dont la femme Fran est artiste en ferrailles soudées. La fille Julie, maussade, est en lutte contre sa mère, et l’adulte en général, et  n’a d’intimité qu’avec son cheval.

De cet univers ouaté, sans affect extérieur, l’île de Prospero, le narrateur, Joe entame pourtant le récit d’un drame.Rongé par la culpabilité et le deuil, la perte, grincheux et sarcastique, cultivé et obstiné, le personnage en cherche  l’origine, le début de l’écheveau. Tout se mêle pourtant et il jette son dévolu sur le jour de l’arrivée de Peck dans le vallon.

Le jeune homme surgit comme un troll, barbu, chevelu, casqué, en combinaison orange et monté sur une moto, il incarne tout ce que Joe déteste, une jeunesse arrogante, ancrée dans ses certitudes, dans le rejet de la norme à la recherche stéréotypée d’une voie en dehors des sentiers que Joe cautionne, de toute son expérience et sa raison, non sans sarcasme et ironie. Pour le narrateur, Peck, c’est Caliban en personne. Entre les deux, le conflit est immédiat, les deux se jaugent. Pourtant, Joe accepte que Peck s’installe sur son domaine, sans doute pour ne pas perdre la face, pour se donner une autre contenance que celle du vieux borné.Très rapidement, Peck déroge aux limites de l’hospitalité accordées par Joe, il construit une cabane dans les arbres, s’arroge un territoire et fait démonstration de sa philosophie « zen ».

De l’autre côté du vallon s’installent les Catlin, un coupe rayonnant de bonheur, Marian et John, et leur petite fille Debby. Entre Marian et Joe, c’est le coup de foudre amical immédiat. Solaire, fragile, solide, généreuse et compréhensive, elle lutte contre le pessimiste désabusé du narrateur, opposant à sa conquête de la nature une philosophie pro sumac vénéneux, pro nuisibles, pointant leur rôle dans un cycle où le naturel s’accorderait avec une forme d’harmonie logique.

Alors, j’en ai bien conscience, ce résumé du tout début de ce titre peut laisser dubitatif :  un débat sur le respect ou pas des règles sociales et naturelles au milieu d’un vallon avec quelques humains autour, un narrateur quelque peu ringard, de mauvaise foi, mais en proie au doute et à l’introspection mélancolique, ce n’est pas trépidant. Et pourtant, cette lente progression vers le récit du drame final est riche et complexe de multiples thèmes, notamment celui de la responsabilité, où commence-t-elle dans les dominos qui mène à la disparition de Marian, où a été sa place dans celle de son fils. Joe ne peut se résoudre à un carpe diem qu’il redoute, un carpe diem stoïque et raisonné qui semble être la voie de la résilience pour continuer obstinément, et malgré tout, à cultiver des roses.

16 commentaires sur “La vie obstinée, Wallace Stegner

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    1. Oui, c’est quelque chose ! un auteur que je découvre et dont j’ai beaucoup apprécié la profondeur et la singularité dans les thématiques et leur traitement narratif, et la richesse du style.

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    1. je pense bien que j’avais deviné … J’avais noté cet auteur à l’occasion d’un échange entre toi et Aifelle, sur ton blog ou le sien, je ne sais plus, en tout cas, je vous en remercie toutes les deux !

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    1. J’ai lu aussi Une journée d’automne, mais je n’ai pas encore fait de billet. Par rapport à ce titre, je l’ai plutôt vu comme un coup d’essai, ( d’ailleurs, je crois que la première oeuvre publiée de Stegner), mais on sens malgré tout le « patte du maître ».

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