La voleuse de livres, Markus Zusalk

Je vais commencer par ce qui paraît être le pire des choix narratifs et pourtant qui créé la tonalité intensément lyrique et ironique de récit magistralement tendre. Celle qui nous conte la folie et l’amour des hommes est la mort, la grande faucheuse en personne, et qui plus est, dans une période historique où elle ne manque pas d’occupation puisque la deuxième guerre mondiale est en train de profiler ses massacres dans l’Allemagne déjà nazie.

Sarcastique,  la mort a les pieds sur terre :  » un détail, vous allez mourir », mais elle rassure aussitôt, se gaussant du col :  » Surtout n’ayez pas peur, je suis quelqu’un de correct. Je n’ai rien de violent. Ni de méchant. Je suis un résultat. », rien à redire. Elle  se borne à constater l’incroyable folie des hommes, dont elle n’est en rien responsable, ce n’est pas sa faute si ils se précipitent vers elle, si la méchanceté, la cruauté, la brutalité amoncellent des cadavres qui lui restent sur les bras. Elle bouscule les conventions du récit en des avertissements placardés en lettres gothiques, devançant l’avancée de l’histoire et ses aléas de machine à tuer.

La mort fait la connaissance de Liesel en venant chercher le corps de son petit frère, dans un wagon de chemin de fer. Sa jeune âme dans les bras, la mort s’attarde sur le tableau pathétique, la mère seule sur le quai, la petite fille raidie, les larmes gelées de froid. La mort avait un trou dans son planning, et même si elle repart sans cesse recueillir les corps fauchés, c’est avec une infinie tendresse qu’elle revient à l’histoire de celle qui sera la voleuses de livres, à l’enfance cabossée par la guerre, et en même temps, comblée par les mots.

Liesel vole son premier livre, tombé de la poche d’un jeune croque mort, dans le cimetière où est déposé le corps de son frère, elle s’empare de « Manuel d’un fossoyeur, un guide en douze étapes pour réussir dans le métier ». Mais, cela, elle n’en sait rien, elle ne sait pas lire.

Liesel est confiée à un couple modeste, les Huberman, Rosa et Hans, mal assortis. Ils vivent dans la rue Himmel, modeste rue aussi, peuplée de figures enfantines et adultes survivant et s’adaptant, avec plus ou moins de conviction, aux ombres brunes qui défilent dans la rue. Rosa jure comme un charretier, manie la cuillère de bois comme une perpétuelle menace, une forme de tendresse très personnelle dont Liesel ne lui tient pas rigueur, parce que Rosa, aussi peu amène qu’elle soi, l’aime. Elle fait bouillir la soupe de pois cassés en assurant le repassage du beau linge de quelques maisons des quartiers chics. Dans celle du maire, la bibliothèque révélera d’autres mots que ceux de la mort à Liesel.

Je laisse à la mort le soin de présenter Hans Huberman :  » il aimait fumer. Ce qu’il préférait dans les cigarettes, c’était les rouler. » Activité qui mène, dans le livre, à des déboires inattendus, car la mort aime ménager ses hasards. Cet homme simple, tendre, chaleureux, fidèle à ses promesses, accordéoniste et peintre en bâtiment est le guide de Liesel vers les mots. Il ne les maîtrise pas bien mais assez pour déchiffrer avec elle le manuel du fossoyeur, comme un défi aux cauchemars de la nuit.

La rue Himmel n’abrite que de pauvres gens, elle grouille de jurons , d’une vie populaire où les enfants jouent au football, avant que les jeunesses hitlériennes ne tentent de les dresser aux défilés. Il y a Tommy, dont le visage agité de tics incontrôlables lui vaut des déboires burlesques ou dramatiques, selon que Rudy est là ou pas. Rudy, les cheveux jaune citron est le chevalier servant de Liesel, amoureux de la première heure, qui a connu son heure de gloire, un soir, en se prenant pour Jessy Owens, et puis tard aussi, mais la mort ménage ses effets … Et même que, parfois, elle n’a pas le dernier mot … Il y a des caves, abris ou prison, pour celui qui doit fuir en restant immobile, il y a des friandises de mots à voler. Les mots font taire les peurs.

La voix ironique se moque des hommes et de leur prédilection obstinée à se construire un enfer sur terre, mais se penche, pleine d’humanité sur ces destins minuscules, malmenés, qui, par les mots, les notes, quelques baisers qui auraient pu être, tricotent un roman où la fureur de l’histoire a des accents d’accordéon. Un récit tonique, bouleversant, qui galvanise le goût des histoires comme un défi à ceux qui voulaient les brûler.

 

 

 

 

 

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29 commentaires sur “La voleuse de livres, Markus Zusalk

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  1. je l’ai lu en 2009 … merci à la mémoire d’internet qui fonctionne mieux que la mienne. Je ne m’en souviens pas trop mais en lisant ton billet et en relisant le mien les souvenirs sont revenus. Je crois avoir été moins enthousiaste que d’autres lectrices.

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    1. Effectivement, tu as mis trois coquillages seulement à ce titre … et les effets d »annonce de la mort t’avaient agacée, et moi, c’est justement ce m’a amusée, il n’y a pas de suspens, tu sais qui va mourir ( mais pas toujours quand même) ou ce qui va arriver. Du coup, je me suis promenée sans inquiétude pressée dans les aléas des aventures de la voleuse et de sa bande de personnages.

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  2. Je ne pensais pas que c’était aussi bien.. Je crois me souvenir qu’à sa sortie, je m’en suis détournée parce que j’en entendais trop parler (c’est mon vilain côté anticonformiste sans discernement..). Ceci dit, le procédé narratif me fait un peu peur..

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    1. Je te comprends, je fonctionne un peu de la même façon … Je me méfie parfois très rapidement des livres dont tout le monde parle ! Mais là, je suis passée à côté du flux, je ne sais pas comment … Le procédé narratif est un peu troublant au départ, mais la mort a une voix très humaine, presque plus humaniste que bien des hommes !

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    1. Ben alors, j’ai eu de la chance de ne jamais en avoir entendu parler ! Seul l’avis de mon amie préteuse m’a influencé. Tu pourrais peut-être changer d’avis, maintenant que la vague est passée …

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    1. J’ai regardé la bande annonce du film adapté de ce roman, mais il semble qu’il n’y reste plus grand chose de la tonalité de l’oeuvre littéraire , où la voix de la mort empêche le mélodramatique de dominer et de s’installer. Sans ce recul, l’histoire perd de son intérêt !

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    1. Pas vraiment dans la tonalité de Poe, bien sûr la figure de la mort qui parle pourrait faire penser à une atmosphère gothique, mais les autres personnages font que le récit est plutôt réaliste que fantastique.

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