
232028 2018-11-05 Ile-de-France Paris France
Les différents sens de l’expression » en lambeau » pourraient s’appliquer à l’auteur de ce récit autobiographique, un des survivants de l’attentat de Charlie Hebdo.
Le récit commence le jour d’avant, dans le monde d’avant, journaliste et chroniqueur, Philippe Lançon assiste à une représentation de La nuit des rois avec une de ses amies, Nina. Il prend des notes, ils échangent autour du texte, de la traduction. Peut-être un article pour Libération. Il s’endort avec Houellebecq, se réveille avec un futur proche, la conférence de rédaction de Charlie, l’entretien prévu avec l’auteur de Soumission. il attache son vélo, un Ocana, aux grilles du métro, station Jussieu. Le vélo y restera un certain temps, un des détails qui hante ses souvenirs, lacunaires, dans le monde d’après. Nina, un tapis ramené d’Irak, le vélo, font surgir des morceaux de son passé, une amitié en pointillés, le suicide du champion, le jour où Philippe Lançon a accueilli celle qui deviendra sa future femme, en provenance de Cuba …C’est ainsi que procède le récit, pourtant linéaire, qui mène à l’attentat, puis qui retrace les étapes douloureuses de la reconstruction, le parcours de la sortie vers le monde d’après, aussi difficile à appréhender que le monde d’avant. L’auteur circonvole à travers sa mémoire, avec les traces qui lui reste, en égrenant les points d’arrêt et ceux dont il fait le deuil, volontaire, involontaire.
Lorsque vient le récit de l’attentat, la dimension réflexive du récit permet au lecteur d’appréhender la mesure de l’homme qui nous parle, et c’est cette mesure, toute en pas chassés, qui nous permet d’avancer avec lui jusqu’aux moments de silence et de sang, une fois que la salle de rédaction ne résonne plus des rires potaches, des assertions, des manies de ces grands enfants qu’étaient les victimes. C’est ainsi que Philippe Lançon les évoque, potaches, irrévérencieux, de mauvaise foi, de parti pris, débattant sans l’avoir lu du dernier Houellebecq. Et on les reconnaît, c’est bien eux, Le dernier regard de Cabu sur la photo d’un joueur d’un joueur de jazz, le crayon de Wolinsky arrondissant une courbe de fesses …
Les amitiés, qui reprendront ou pas, les amours défuntes ou fragiles, les opérations, les greffes, tissent le monde d’après de l’auteur, son immersion dans le monde des soignants, son obsession pour sa chirurgienne, Chloé, son attachement aux policiers qui montent la garde autour de lui, sa peur de sortir de la bulle de la Salpêtrière, l’acceptation, complexe, d’être un survivant, le non sens de ce mot qu’il tente de remplir en écartant tout moralisme, Culpabilisation ou devoir de mémoire, pour Lançon, point de responsabilité, si ce n’est celle de revivre, avec les mots des autres sur Charlie, parfois maladroits, l’actualité, la fuite des frères Kouachi, c’est pour les autres, comme les hommages.
Lui, vit ailleurs, dans des chambres sécurisées, percé de tuyaux, les veines introuvables, lisant et relisant le récit de la mort de la grand mère du narrateur de la Recherche du temps perdu, concentré sur les réactions d’un corps qui lui échappe. La vie au dehors continue, alors que lui reste dedans, l’attentat est à jamais son devenir. Il devient un autre, et lâche, justement, les lambeaux de ce qui aurait pu être, les dernières fois que … puis les premières fois que … Un impossible retour à la normale, craint, redouté, accepté.
Le récit est intense, on ne peut le lâcher, ce serait une lâcheté, un acte de soumission à la peur. Alors, même si on sent que l’auteur peine à lâcher son texte, à lui trouver un point final, même si il y a quelques longueurs, elles sont infiniment respectables.
Que j’ai aimé ce témoignage d’une vie en lambeaux : la simplicité de l’écriture pour raconter un événement dont on ne se remettra jamais. On se reconstruit mais on n’oublie pas. Une écriture simple mais où les mots transmettent tant des pensées, de la force qui est nécessaire pour en faire un récit d’un quotidien estropié…. On est presque gêné de le dire vu les circonstances mais Magnifique 🙂
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C’est un texte courageux, et très littéraire dans sa construction. Parfois très intime, jamais impudique. Magnifique, c’est certain. J’ai particulièrement été intéressée par ses reflexions sur son rapport avec l’actualité du dehors, qui continuait, sans qu’il ne se sente impliqué par les paroles sur l’attentat. On découvre aussi un parcours humain très riche.
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Je n’ai toujours pas l’intention de le lire ; plus à cause de l’hôpital que de l’attentat d’ailleurs. C’est épidermique chez moi.
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Alors, effectivement, ce n’est pas la peine que tu te forces car l’auteur analyse longuement ses rapports avec le personnel hospitalier, et c’est même parfois assez drôle. Il fait de beaux portraits humains.
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J’ai (presque) tout aimé dans ce livre!
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Presque ?
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Rien à ajouter… (quel commentaire pertinent..)
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Je vais aller relire ta note que j’avais survolée lors de sa publication, ne voulant pas être influencée. Mais j’avais quand même bien compris que toi aussi, tu avais été touchée par ce témoignage particulièrement intelligent.
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Ta conclusion est sublime. Je n’ai pas trop parcouru ton article car je vais lire prochainement le livre.
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C’est une lecture prenante et sensible que l’on a envie de partager. A bientôt pour ta note.
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Je n’ai pas le souvenir de longueur, tant j’avais été happé par ce récit.
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J’ai qualifié ces quelques longueurs de respectables car je les ai ressenties comme une difficulté à clore le récit, comme l’auteur qui peine à sortir de l’hôpital. Peut-être parce que finir ce livre, c’est aussi quitter à jamais ceux de Charlie qui n’ont pas survécu, l’auteur ne le dit pas, mais je l’ai lu comme cela. Mettre un point final a dû lui coûter, car que dire après ?
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j’ai « lâché » ce livre, car j en’en pouvais plus au moment où je l’ai lu mais je l’ai « lâché » pour le relire le jour où je l’aurai vraiment décidé. Je l’avais eu entre les mains presque par hasard, or ce n’est pas un livre du hasard. J’aime beaucoup ton billet comme tant d’autres il me dit que j’ai eu raison de le « lâcher » si ce n’était pas le bon moment. Je serai si contente de pouvoir le reprendre, car pour moi cela voudra dire que j’ai aussi lâché une partie de mes peurs.
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Tu as donc « lâché » pour de bonnes raisons, effectivement, ce n’est pas un livre qu’on lit par hasard. Les moments que nous venons de vivre, et que nous vivons encore, ne sont pas sans conséquences sur nos lectures, ce qui montre à quel point ce qu’on vit et ce qu’on lit sont en interaction.
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Comme ta chronique est belle et juste et elle dit tellement tout ce que j’ai ressenti.
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Merci, ce n’est pas une lecture engageante, mais elle fut pour ma part, très engagée.
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Bonsoir Athalie, toujours pas lu mais un jour peut-être. Mon ami l’a trouvé très bien. Bonne soirée.
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Les avis ne sont pas vraiment mitigés sur cette lecture. Je crois que c’est parce que que quand tu décides de t’y lancer, tu sais que ce n’est pas pour un moment anodin.
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Je suis en train de le lire. Au contraire de toi, je le lis avec prudence, entrecoupé d’autres lectures, parce que je fréquente un peu trop le service de chirurgie plastique en ce moment. Mais oui, c’est un être humain qui nous parle et cela fait du bien !
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Effectivement, c’est une lecture qui implique beaucoup d’humanité, autant de la part de l’auteur que de son lecteur, et quand on est concerné par le milieu hospitalier, il vaut mieux procéder avec prudence … Bon courage à toi, par ailleurs, si tu dois subir des interventions.
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