Le ministère du bonheur suprême, Arundhati Roy

Aftab nait un vieux quartier du vieux Delhi. Il nait avec les organes génitaux des deux sexes, l’apparence d’un garçon, sa mère espère secrètement que personne ne s’en rendra compte et que le phallus l’emportera naturellement sur le féminin. Aftab grandit et le féminin aussi. Son père est un amoureux de la poésie ourdoue et il a beau descendre en ligne droite de l’empereur mongol Genghis Khan, cela n’empêche pas la misère. Et ce n’est pas non plus parce qu’on aime la poésie que l’on accepte que son fils soit une femme, une Hijra, dans la tradition indoue. C’est le nom qui est donné aux femmes non biologiques, elles jouissent d’un statut à part, méprisées, mais pas impures. Quelque part même intouchables puisque s’en prendre à elles porte malheur. Entre deux mondes, on dit que dieu les a créées pour faire une expérience : créer un être vivant incapable de bonheur.

Aftab, devenue Anjun, rejoint la communauté de la Khwabgab, un îlot de Hijra, n’ayant plus de raison de vivre dans le monde réel, qu’elle nomment le Duniya. Dans le Duniya, grouille la modernité, s’élève les buildings, et surtout montent les fanatismes, piqués par le nationalisme indou, les massacrent ensanglantent les communautés, les minorités religieuses. Les échos du tumulte peinent à franchir les murs de la communauté retranchée dans les fastes de Bollywood, qui peu à peu cependant se délite et décrépit. Anjun tente une percée dans le monde et s’installe dans un cimetière. Pied de nez ironique à une modernité qui gangrène l’Inde moderne, et qui ouvre le récit des aventures d’Anjun qui y croise d’autres solitudes, d’autres écorchés vif et laissés pour compte.

Loin du cimetière, dans le Duniya, le pouvoir asservit, tue, rase les bidonvilles, acculant les habitants à des grèves de la fin aussi médiatisées que dérisoires, torture et assassine au Cachemire.

On pénètre dans la vallée du Cachemire avec trois parcours croisés d’anciens camarades de faculté dont les routes ont divergé, Mussa, le combattant que l’armée traque tout en mettant sa mort en scène, Naga, l’idéaliste corrompu, et le tortionnaire d’état, celui qui est amoureux de la femme, Tilo, qui lie ces trois hommes, le seul qui ne la possédera jamais. Au Cachemire, on tue au nom de la liberté, on tue au nom du retour à l’ordre. là bas, la frontière entre les terroristes et les tortionnaires est ténue et fluctuante. la répression féroce rend les parcours humains aléatoires.

Tableau apocalyptique d’une Inde en vrac, grouillant pourtant de vies, brisées, perdues, égarées, puissantes et folles, tant de meurtres qu’on y pleure, tant d’espoirs dans l’enclave d’Anjun, où les bébés renaissent et les reliques des trouvent une forme de paix, le roman charrie les thèmes comme l’Inde les cadavres, avec perte et fracas, la vie humaine y est dérisoire, emportée par les vagues d’émeutes et répressions. Le dédale du livre est parfois difficile à suivre, et le labyrinthe des destins se perd parfois de vue, comme dans une mégapole, ou une nécropole, les personnages sont tassés comme dans un bidonville, mais chacun aurait mérité justice. Une dénonciation radicale, parfois jusqu’à la caricature.

16 commentaires sur “Le ministère du bonheur suprême, Arundhati Roy

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  1. J’ai lu ton avis en diagonale, mais j’ai vu tes bémols… Il est sur ma PAL, je l’ai gagné lors d’une dictée animée par Olivier Bourdeaut à Lirenpoche (un très joli souvenir, car un moment assez drôle) !! Je le garde pour participer au week-end indien proposé par Patrice en septembre, suite à l’annulation du Salon du Livre de Paris, où l’Inde devait être à l’honneur. J’ai lu Le Dieu des Petits Riens il y a bien longtemps, et j’avais bien aimé, mais je dois avouer que je ne suis guère attirée par la littérature indienne en général. Il a fallu l’enthousiasme d’une Athalie pour me faire lire L’équilibre du monde (et je ne l’ai pas regretté, bien au contraire !)…

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    1. Ha, l’équilibre du monde !!! J’espère que ce titre sera choisi pour le week end indien…. Je m’y suis inscrite également, je ne connais pas bien la littérature indienne mais il me reste du temps pour trouver un titre à présenter.
      Pour ce roman, tu verras, il est très riche, voire même un peu trop … Je n’en dis pas davantage, juste que mon résumé est très réducteur, c’est un livre qui foisonne de scènes à retenir, parfois même assez drôles !

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      1. J’en suis à la page 110 et je crois que je vais jeter l’éponge, je le trouve un peu confus, et je n’arrive pas à accrocher, je m’emmêle les pinceaux entre les personnages (pourtant pas si nombreux), et je m’ennuie un peu..

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      2. J’avais dû me forcer à peu à raccrocher par moments … Il y a des moments d’envols mais c’est vrai que c’est parfois tellement tortueux qu’on est perd de vue les personnages ( p110, ils ne sont encore tous là ^-^)

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    1. Le dieu des petits riens, je n’y avait rien compris ! Enfin, disons que je ne me souviens que de l’ennui éprouvé à y comprendre quelque chose … Ce titre est plus prenant, les personnages bien définis, même si il sont nombreux, chacun a sa trajectoire. Et les thèmes sont beaucoup plus politiques.

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  2. Je vais passer mon tour, le côté « caricature » que tu évoques en fin de chronique me fait un peu peur. Mais « Le Dieu des petits rien » est toujours sur ma liste de lectures potentielles pour notre week-end indien :-). En tout cas, merci d’élargir la liste (limitée) des chroniques consacrées à la littérature indienne !

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    1. Le week end indien que vous proposez sera l’occasion d’élargir encore les propositions de lectures.. J’ai quelques titres notés mais rien de sûr encore. Peut-être Devdas ? La vingtième épouse me tente aussi …

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