Seules les bêtes, Colin Niel

Seuls les Causses, les Cévennes, le froid intense, l’immensité des paysages et de la solitude, peuvent rendre crédible une pareille histoire, qui, pas à pas, vous enchaîne dans le sillage d’un monde rural où chaque trace dévoile un peu plus de noirceur. Les indices sont semés, petits cailloux le long des lacets qui plongent de la superstition des Causses à celles des maquis surchauffés du Congo où s’exposent les fragiles réussites des sappeurs. C’est l’histoire croisée d’une disparition et d’une vengeance coloniale, d’un oubli, terrible, des hommes en mal d’amours et de rêves.

La première narratrice est Alice, assistante sociale, mariée à Michel. Fille d’agriculteur, elle sillonne les étendues désertées des Causses en tentant d’aider les paysans au bord de la faillite. Elle les accompagne, explique les aides possibles, trie les documents à remplir, leur redonne un peu d’espoir. C’est l’hiver sur les hauteurs des Cévennes, dans les bâtiments de pierre qui sont autant de navires en détresse, les hommes tanguent. Eliane, amie d’Alice, a encore le cœur étreint par Popeye, un éleveur retrouvé pendu au milieu de ses bêtes. Alice est mariée à Michel, un taiseux, ils ont fait des rêves de voyage et d’expansion, mais à présent, le coeur de son homme ne semble plus battre que pour ses vaches et la survie de l’exploitation, héritée du père d’Alice, mentor pesant et castrateur.

Joseph, particulièrement isolé dans une ferme où il est resté seul après la mort de ses parents et la défection des derniers voisins, touche singulièrement le cœur d’Alice. Pas plus beau que Michel, pas plus bavard, aussi enfoncé que les autres dans la misère affective et le célibat qu’il n’a pas vu venir. Alice s’offre à lui, pour rien, tous les quinze jours dans la cuisine de la ferme. Elle se dit qu’elle lui remonte le moral, ainsi elle se sent un peu utile … Sauf que Joseph ne veut plus et Evelyne Ducat a disparu.

La rumeur au village dit qu’elle a été emportée par la tourmente, le vent qui planque les corps dans les congères. En plus, elle n’est pas du coin, on ne la connaît pas, c’est la femme d’un gars du pays qui a réussi dans les affaires et qui a bâti une maison d’architecte sur les Causses. On dit aussi qu’elle profite de ses longues absences pour vaquer dans d’autres bras. C’est un monde où les non dits sont rythmés par les vêlages à surveiller, les foins à rentrer, les brebis à sortir.

La disparition d’Evelyne est le point de départ de la bourrasque qui pousse l’histoire, narrateur après narrateur, par une construction très rythmée, vers des horizons inattendus. A chaque narrateur son secret, à chaque narrateur sa pièce à jouer pour tenter de gauchir son destin, d’atteindre une forme, même dérisoire et volatile, de satiété, de satisfaction, à l’image d’Alice qui avait cru la trouver en ces brefs corps à corps avec Joseph. Chaque personnage est ancré dans une simple réalité humaine, des écorchés ordinaires qui ne demandent pas grand chose, finalement. Chacun, avec son phrasé, prend son tour dans ce manège de l’histoire, très prenant.

 

 

22 commentaires sur “Seules les bêtes, Colin Niel

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    1. Ce n’est pas un grand roman, mais les thèmes qu’il noue, des Causses au Congo, tiennent le choc du dépaysement, et c’est assez fort, déjà, je trouve …. Et le puzzle narratif donne au lecteur une position de voyeur de ses vies qui n’est pas malsaine mais dans la compréhension de chacune.

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    1. Je comprends ! Mais moi, un de mes trips, c’est les Causses, leur rudesse, leurs champs de pierres qui y poussent comme les moutons, alors forcément, dès que ces paysages là apparaissent, je vois les gens dedans.

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    1. Par contre, je te déconseille de voir le film avant, il est très bien, par ailleurs, mais il donne toutes les clés de l’intrigue. J’ai fait l’inverse, un peu déçue au départ, notamment par l’incarnation des mecs du Causses, un poil caricaturaux quand même.

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    1. Et oui, les Cévennes, les Causses, sont moi aussi ancrés dans mon imaginaire. Mais c’est un roman qui met aussi en évidence la solitude des vrais gens qui y vivent, des vieilles histoires qui pourrissent l’avenir. Sans pathétisme cependant, c’est avant tout un bon thriller.

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  1. Je crois que ça e plairait bien, je suis justement en train de faire une série de lectures « à la ferme » et j’ai lu « L’Annonce » de Marie-Hélène Lafon, moins noir évidemment mais on ressent aussi la solitude, la misère affective. Ce roman-ci est-il déjà sorti en poche ?

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    1. Je ne connais pas ce titre de Lafon, mais j’aime bien cette auteure. Attention quand même, le roman s’ancre dans les Causses mais part vers le Gabon. Je n’y croyais pas au départ, mais ça fonctionne. les solitudes se croisent bien, de même que le thème de la vengeance.

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    1. Dans le genre thriller, en effet, beaucoup de titres s’évaporent, c’est d’ailleurs un peu pour cela qu’on les lit, non ? Ca nous prend sur le moment et puis pfff …. Mais c’est vrai aussi que quelques titres reste dans nos mémoires. Je pense que celui là en fera parti pour moi aussi, car il a le quelque chose en plus qu’on attend pas !

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  2. Je l’ai lu l’été dernier après avoir lu le billet d’Ingannmic. J’avais beaucoup aimé les premiers chapitres (l’atmosphère, les personnages) et je n’avais absolument pas vu voir venir la fin. Un bon souvenir de lecture.

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    1. Diantre, je ne me souviens pas du billet d’Ingamnnic, et pourtant, je la suis plus que régulièrement ! Les premiers chapitres qui se déroulent sur le Causse sont très prenants, mais j’ai trouvé que les autres qui se déroulent au Gabon, sont très bien reliés et il est vrai qu’on ne voit rien venir, chaque narrateur ajoutant sa pierre de touche.

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    1. J’ai dû me reprendre à deux fois pour voir le film après avoir lu le livre. Finalement, j’ai réussi à accrocher, mais j’ai eu du mal avec les deux personnages masculins des Causses, ils me paraissaient interchangeables, mais c’est peut-être volontaire, justement.

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  3. J’avais attaqué ce titre en pensant qu’il s’agissait du premier volet de sa « trilogie guyanaise », à cause de la couverture, et quelle surprise quand je me suis retrouvée au fin fond du Massif Central ! J’avais beaucoup aimé tout de même, ce titre m’avait un peu fait penser à Bouysse..

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    1. Je n’avais jamais entendu parler de cette trilogie guyanaise, ce qui fait que que me retrouver dans les les Cévennes ne m’a pas surprise, de prime abord (pas le massif central, Ingannmic, attention, ce n’est pas la même chose, même si tu dis « fin fond », c’est pas pareil … Sinon, Sandrine et moi, on va grincer des dents ! ^-^ ). mais pas contre, me retrouver de fil en aiguille dans un maquis Congolais m’a beaucoup étonnée. Un parcours atypique mais bien construit.
      Bouysse est très bien aussi, je n’ai pas lu Glaise, Mais j’avais beaucoup aimé Grossir le ciel, qui se déroule dans … les Cévennes .

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