Dans le désordre, Marion Brunet

Dans les années 2010, à vue de nez, une manifestation tourne à la violence policère. Dans les rangs clairsemés par les matraques, Jeanne, étudiante en lettres, Lucie, en droit, son mec, Jules, en histoire, Alison, en histoire de l’art, sont des néophytes des gaz lacrymogènes. Les gorges brûlent et la panique gagne le terrain. Deux autres personnages, plus aguerris, les prennent sous leur aile ; Marc, déménageur, grand, baraqué et charismatique rédacteur de tracts et d’articles libertaires, et Tonio, un vieux baroudeur des luttes, la queue de cheval grise et le sourire ébréché par l’alcool. Ex syndicaliste, il a été brisé par la machine capitaliste. Il ne cogne plus qu’à Pôle emploi, avec la rage au cœur et la nostalgie des grands soirs.  Les deux prennent soin des filles, sonnées par la violence qu’elles découvrent, naïves et révoltées.

Deux jeunes manifestants ont été arrêtés et passent la nuit en garde à vue. Jules et Basile, le tagueur touche à tout, l’équilibriste, le meilleur copain de Marc avec lequel il forme un duo  » à la vie à la mort ».

Entre les sept personnages, c’est l’osmose immédiate, vivre « autrement » les soude, même si le autrement reste très vague …. Une sorte d »état d’esprit diffus, qui reste informé entre rêve d’un autre avenir et formulations révolutionnaires éculées, contre le capitalisme, c’est sûr, mais en faisant quoi … Bon, ben, un squatt. Soit, un squatt, me dis-je …. Il est plutôt confortable quand même, une grande maison bourgeoise avec tableau de maître, verres à pieds et jardin. Ils le meublent de bric et broc, et rapidement, ce lieu devient un entre-soi, un autre chez soi d’où l’on fait la nique aux voisins (mais pas trop quand même, ces squatteurs ont la nique policée).

Les fêtes s’enchaînent, alcool, bougies, tags sur le tableau de la vieille bourgeoise propriétaire, discours embrumés anti capitalistes, et Basile et Jeanne brûlent d’un grand amour. Les grands discours anarchistes et autogestionnaires se noient rapidement dans les poncifs, très loin, en réalité, des réalités sociales auxquelles ils disent s’opposer. Le roman en reste à quelques soubresauts fort adolescents : le collage d’affiche se termine en danses de rue nocturne, le grand débat sur Noël, aller ou ne pas aller le fêter en famille, deux ou trois prises de bac autour des tours de vaisselle …

Les actions révolutionnaires s’immobilisent, le squatt suffit, visiblement. Marc représenterait une forme de radicalité, flirtant avec une vague tentation d’actions plus violentes  …

Le roman survole son thème : la notion d’engagement se limite à un « eux » contre « nous », très simpliste et agaçant. Le roman loupe sa cible, mais sans doute parce que je ne suis pas la bonne cible, je l’ai découvert pendant la lecture, ce texte a été publié en littérature jeunesse, ce qui explique que le discours politique soit peu marqué au profit de l’aspect roman d’apprentissage. Pour moi, évidemment, la vulgarisation didactique a de trop vieux airs de maison bleue et de Moustaki. Cela fait trop longtemps que j’ai lu Le droit à la paresse, entre autres classiques de ces textes engagés que les personnages, eux, découvrent.

Il n’empêche que l’on est loin de l’efficacité de L’été circulaire, de la même auteure, où la violence sociale, beaucoup moins mise en mots, mais ancrée dans le paysage et dans les relations entre les personnages, était d’une radicalité explosive.

Objectif pal de l’été !

18 commentaires sur “Dans le désordre, Marion Brunet

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  1. J’ai du mal à comprendre pourquoi des jeunes,seraient attirés par ce roman. Sinon pour comprendre que l’engagement ne se suffit pas à lui-même. Ce que tu dis de ce roman ne le rend pas attirant.

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    1. Je ne le proposerais pas à des ados, parce qu’il est trop entre deux, je trouve, à la fois engagé, mais les références politiques sont celles d’un adulte, à la fois d’une légèreté peu crédible. Mais c’est bien écrit et l’objectif est louable et parfaitement honnête.

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  2. Mouais … je pense que c’est un livre qui m’énerverait, il a l’air assez loin des réalités, avec des jeunes tombés dans des travers tellement banals. Il est loin le grand soir.

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    1. Je ne le suis pas non plus, pour ce titre là. Mais je vais continuer à suivre cet auteure, parce que j’aime son engagement et même sa prise de risque. Tente Eté circulaire, tu m’en diras des nouvelles !

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    1. Frangine, si j’ai bien vu, c’est aussi en littérature jeunesse, je vais passer, j’ai trop de mal à accrocher, même quand c’est très bien. J’en lis un peu quand même sur les conseils de ma fille, mais peu d’auteurs m’accrochent, Murail et Anne Laure Bondoux, mais c’est à peu près tout.

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    1. Voilà, une belle auteure, à suivre, mais en ciblant les titres pour « nous », et malgré les très rares faiblesses d’Eté circulaire, c’est un titre qui me reste en mémoire. Je pense même que je n’ai publié cet article sur Dans le désordre que pour pouvoir redonner un peu de visibilité sur celui que j’avais consacré à ce premier roman « adulte ».

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  3. C’est étonnant ce que tu en dis… Ce roman a été un gros coup de coeur pour Jérôme et moi, il plait beaucoup aux grands ados (lycéens)… Il faut croire qu’ils s’y retrouvent 😉
    J’aime vraiment beaucoup Marion Brunet, jamais été déçue pour l’instant, en jeunesse ou en « adulte ». D’ailleurs, je trouve ça chouette qu’il sorte de la case « littérature jeunesse » avec cette sortie poche 😉

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