Le récit prend sa source dans l’épisode du congrès de Saint Imier en 1872. Cette petite bourgade du Jura Suisse semble bien loin de la marche de la grande histoire, et pourtant elle accueillit Bakounine et Malatesta pour une série de conférences, après la scission de la première Internationale où les anarchistes furent déclarés indésirables par les socialistes ( au sens marxiste).
Une petite bourgade, au fond d’un vallon, avec un côté soleil et un côté ombre, mais la misère est des deux, petits paysans, petites mains pour l’industrie horlogère qui utilise le temps de l’hiver pour la fabrication de quelques pièces par les habitants, surtout des femmes, d’ailleurs. Mais un fond de révolte court dans cette vallée. Dès 1851, à l’annonce de l’expulsion du médecin juif, Herman Basswitch, qui y avait fondé une une école et soignait les pauvres gratis, les villageois avaient combattu cet ordre des autorités bernoises, à coups de manifestations et de chansons « rouges ». Les deux sœurs Grimm, prirent part, sur les épaules de leur père, à cette résistance contre l’iniquité et l’abus de pouvoir. L’émeute a gardé un goût de fête à leurs oreilles.
Valentine est la cadette, c’est elle qui prend en charge le récit. Dans le prologue, elle se présente comme un « on », et non pas un je, car elle est la dernière des dix et donc la seule qui puisse raconter comment 10 jeunes filles ont quitté Saint Imier pour un exil définitif, afin de fonder leur propre vie et de s’offrir un autre avenir. La motivation est politique, mais se double souvent d’une situation personnelle précaire : un mari violent, un veuvage, un amour interdit … Toutes veulent tenter l’aventure de la liberté et quitter le vallon où la fabrique horlogère, qui commence à s’installer, les condamne à rester vissées sur leur chaise, sous les ordres des contremaitres, sans autre choix que de fabriquer des montres à la même heure.
Deux jeunes filles sont déjà parties. Homosexuelles, elles pensaient pouvoir trouver plus de tolérance de l’autre côté de l’Atlantique. Rien n’est moins sûr mais n’empêche que, dix femmes, neuf enfants s’exilent avec en commun le courage, le rêve de la Commune, le goût de l’insurrection et des chansons, la naïveté et un oignon Longines, leur trésor de guerre.
Elles naviguent pour la première fois sur un bâtiment qui mène aussi Louise Michel et d’autres communards vers la déportation. Les dix Suissesses s’arrêtent au bout de la Patagonie, dans un port délabré où les utopistes font leur premières armes contre les rigueurs géographiques, coloniales, machistes. C’est la première étape de la réinvention du contrat social par l’idéal communautaire car le parcours des dix permet au long du récit d’évoquer les différentes tentatives d’établissement en Amérique du Sud de colonies libertaires. Elles participent à plusieurs expériences, perdent ou gagnent, certaines bifurquent, d’autres les accompagnent. A ni dieu, ni maitre, elles ajoutent ni mari, font leur choix, premières black Blok de l’histoire de marcher en tête d’une cause que jamais elles n’abandonnent vraiment.
Le récit est passionnant et évite le prosélytisme car l’auteur a choisi de passer par les mots simples de Valentine, qui n’aime pas les mots en -isme, la plus circonspecte, celle qui ne s’enflamme pas, et qui évoque aussi découragements, abandons et amours perdus.
Ça m’a l’air rudement bien !
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Oui, c’est bien, vraiment, plein d’optimisme, et parfois de candeur, mais elles font du bien les dix petites !
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il devrait me plaire, ta chronique m’a mis l’eau à la bouche 🙂 noté donc…
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Je ne l’ai pas mis en coup de coeur, à cause de sa brièveté qui ne permet pas de vraiment s’installer dans l’histoire des dix. C’est un peu frustrant d’en laisser certaines sur le bord de la route.
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Très très intéressant ! Du même auteur j’ai aussi noté Kamikaze Mozart mais je vais peut-être commencer par celui-ci.
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C’est le premier texte que je lis de cet auteur, mais certainement pas le dernier. Je vais regardé de quoi il est question dans Kamikaze Mozart, rien que le titre me plait.
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Le thème est très intéressant, je le note.
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Franchement, j’ai appris plein de choses, La commune de Saint Imier, c’est déjà très étonnant mais après, tu arrives dans l’île de Robinson…. Et visiblement, tout est vrai, l’auteur a fait une sorte de condensé des expériences anarchistes.
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Je ne connais pas du tout cet auteur, je vais chercher quel éditeur le publie…
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Il est chez libretto en poche. Franchement, je n’en aurais jamais entendu parler si la librairie Dialogue à Brest ( super librairie !) n’en avait pas fait un coup de coeur. D’ailleurs, j’ai acheté presque tous les coups de coeur de la table …
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😀
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