Archives des enfants perdus, Valéria Luiselli

Elle est documenthécaire, il est documentariste. Ils sont tous les deux des chasseurs de sons, mais pas pour les mêmes causes. Lui enregistre les fantômes, et même les échos des fantômes, sans but documentaire, et avec une pointe journalistique, si j’ai bien compris. Par contre, ce dont je suis certaine, c’est que cette différence creuse leurs différents.  Ils se sont rencontrés quatre ans auparavant lors d’un projet d’enregistrement de toutes les langues parlées à New-York, se sont plu et ont fondé une famille de quatre, avec son fils à lui et sa fille à elle. Un cocon, une fusion, où l’on regarde les enfants dormir en fumant un joint ou deux, en lisant les mêmes livres. 

La fusion semble prendre fin en ce début de voyage à quatre, en voiture vers une destination floue, plutôt l’Oklahoma pour lui, l’Apacheria et le fantôme de Géronimo, plutôt les camps de migrants pour elle, le Texas et le désert où se perdent les enfants du Mexique à la recherche d’une issue. Elle est obsédée par le destin des deux filles de Manuella, une femme migrante, parties rejoindre leur mère, arrêtées,  retenues, puis disparues. Disparues où ? Où sont les enfants de migrants disparus dans le désert ? 

C’est elle qui raconte ce sans doute dernier voyage à quatre. Elle tient la carte, écoute à la radio les dernières nouvelles des expulsions des enfants. Lui raconte les histoires de la fin des Amérindiens, la longue errance jusqu’à la dernière reddition. Ce voyage en huis clos est meublé des disputes feutrées du couple, de leurs silences. Ils écoutent des livres audio pour combler le vide entre deux étapes , Sa majesté des mouches, ou la chanson préférée des enfants qui jouent à être Major Tom et Ground zéro sur une musique de Bowie. Dans la voiture, il y a aussi six boites d’archivage pour leur travail, et quelques livres dont des extraits sont lus lors des haltes de la famille (et que j’ai fini par passer sans remords aucun). Ils parcourent des paysages désertés, s’arrêtent dans des motels plus ou moins délabrés, des fast food graisseux, des villes choisies un peu au hasard, d’un nom, d’un musée, d’une attraction pour les enfants. 

C’est un road movie sans véritablement de grands espaces, on est surtout dans la voiture, dans les boites d’archives, dans les références littéraires, dans les histoires que les quatre écoutent, racontent, ressassent. Le fils prend des polaroïds de ces paysages d’américains moyens, complétement en déroute. Jusqu’à ce que les deux enfants à leur tour ne faussent compagnie à ce couple en désérrance et, il faut bien dire que la symbolique prend alors de lourds sabots symboliques  … 

Déconnectés du monde qui les entoure, le décryptant à travers leurs propres obsessions, leurs préoccupations sonores et les pinaillages d’intellos new yorkais, où même les enfants ont des mots d’enfants de livres pas pour enfants,  l’aspect désincarné des personnages ( la narratrice n’appelle son mari que mon mari, le jeune garçon, mon fils, ou le garçon …) m’a laissée indifférente à leurs pérégrinations historiques, littéraires, philosophiques, mais bien peu humaines. J’avoue que la différence entre documentécaire et documentariste sonore m’échappe encore. Et que je m’en contre fiche. 

 

 

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12 commentaires sur “Archives des enfants perdus, Valéria Luiselli

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  1. Encore un livre à laisser sur les rayons. Il me semble que ça fait longtemps que tu n’as pas eu de coup de cœur pour un livre. Mais j’ai peut être raté un ou deux billets.

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    1. Effectivement, j’enchaine des lectures agréables, mais pas complétement passionnantes depuis quelques temps. Pour ce titre, je m’y suis ennuyée, mais pas tout de suite, je pensais qu’il allait se passer quelque chose. Et puis, quand l’aventure arrive, et bien c’était trop tard …
      Mais la prochaine publication sera beaucoup plus convaincue !

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  2. Bah mince, je me suis jetée dessus lorsqu’il est sorti en poche, j’avais noté un avis dithyrambique chez Cuné, je crois, et depuis, je ne lis que des billets plus que mitigés à son sujet… Cela m’apprendra à tourner 7 fois mon portefeuille dans ma poche avant de m’emballer !!

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    1. Ce titre peut bien fonctionner, je pense, à partir du moment où tu sais que l’histoire est plutôt un ressassement, un long travelling latéral sur des paysages et des tableaux que les personnages ne font que fixer quelques instants.
      Tu verras si tu as bien fait de t’emballer …

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    1. Si j’ai bien compris, documenthécaire, c’est quand tu enregistres des sons pour en faire des documentaires, avec un but social, ou de journaliste, tu restes objectif mais tu orientes quand même le truc. Documentariste, c’est lorsque tu enregistres des sons, mais plus dans le but de juste enregistrer la vie qui passe, Type bruit de voitures ou du vent dans le cimetière des indiens. C’est son truc à lui et pas à elle, ce qui contribue à la dissolution du couple.
      Et franchement, je me suis dit que si on avait que ça dans la vie pour dissoudre un couple, ça irait.
      Je sais, faut pas comparer la vraie vie à la littérature ^-^

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