Aucun souvenir assez solide, Alain Damasio

61rNvHFrt3L._AC_Il est déjà singulier, je trouve ,de faire une note sur un recueil de nouvelles, mais  d’autant plus ici puisqu’il s’agit d’un genre, la science fiction, où je m’aventure peu, que les univers futuristes qui se succèdent ont les mêmes caractéristiques plutôt dystopiques, ce qui fait que je me suis un peu embrouillée dedans et la lecture en fut parfois languissante, alors que l’écriture est enthousiasmante. Effectivement, Damasio est un maître stylisticien, un penseur de mondes denses où l’infini de Pascal côtoie le chaos de Nietzsche, Deleuze et la rime en ix de Mallarmé … Fascinant humanisme poétique et d’une esthétique baroque où tourbillonne les sentiments et les mots.

Plusieurs textes me marqueront, pour l’univers, la beauté et l’expression d’une pensée non linéaire. « Annah à travers la harpe » raconte la douleur d’un père qui va affronter l’enfer pour retrouver sa fille morte a à peine trois ans. Surprotégée par la technologie voulue par l’amour de ses parents, elle n’a pas échappé au simple hasard . En effet, dans le monde qu’a connu Annah, l’extérieur était  vu comme un prédateur pour l’enfant et l’amour se prouve par une anticipation paranoïaque,  Illustration tragique que surprotéger n’est pas aimer, aimer, c’est laisser libre.

Dans le monde des « Hauts parleurs », les mots ont été achetés par des grandes multinationales, ils sont des marques déposées pour l’utilisation desquels  il faut payer. Quelques altermondialistes résistent dans la zone 17, niche de la liberté de parole, d’où s’envolent justement les hauts parleurs, des hommes qui survolent la ville en lançant des discours les plus libres de droit possible. C’est de là que va s’élancer l’épopée de Clovos Spassky à la conquête du mot chat, en empereur libertaire du style oratoire monomonène version maniaque. Ce qui permet au passage de se régaler du savoir faire de Damasio en jeu de langage.

Le monde est urbain dans la plupart des nouvelles mais la ville la plus fascinante est celle de So phare away. Elle a poussé en hauteur, de plus en plus haut, et les hommes se sont divisés entre les espaces, sous la poussée de la marée d’asphalte. Tout en bas, le monde de la route, des voitures, un flot continu où aucune circulation n’est plus possible pour un piéton. Tout en haut, les grands phares projettent les messages de la gouvernance et entre les deux, d’autres phares activent leurs lanternes. Il y a les phares de la multitude, qui a oublié la liberté et relaie une parole vide, des tweets lumineux, qui noie la parole individuelle dans la nappe illisible des signaux qui sont devenus si nombreux qu’on ne peut les lire. D’autres phares utilisent encore les jets de lumières comme des pinceaux. C’est le cas de Sophia et Farrago, deux amants qui ne peuvent se rejoindre qu’une fois l’an, lorsque la marée d’asphalte noie les voitures et permet la navigation. Sophia est liphare, c’est quelqu’un de bien, elle décode les messages, les relaie, pour qu’ils soient compris par le plus grand nombre et que circule une autre pensée que celle du pouvoir. Métaphore de notre monde de réseaux, cette nouvelle est elle aussi, d’une beauté littéraire aux accents shakespeariens qui m’a attrapé le cœur.

Dans cet univers très noir, restent deux lumières, les enfants et la sensualité des corps féminins, comme des souffles d’air et des îlots de mémoire, c’est la cas de la dernière nouvelle,  « Aucun souvenir assez solide », une apnée éphémère et torride d’une poignante beauté poétique.

Rien que pour ces quelques textes, je me félicite d’avoir vaincu quelques petites traversées du désert dans certains autres textes du recueil. Une lecture commune avec Ingannmic et une  autre ( et dernière) participation à Mai en nouvelles 

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18 commentaires sur “Aucun souvenir assez solide, Alain Damasio

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    1. Et oui, un joli mois de mai, j’ai apprécié de me renouveler un peu et la SF, j’y mets rarement les pieds … Depuis le temps que je me dis qu’il faut que je lise La horde du contrevent de cet auteur, ces nouvelles m’ont motivée !

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  1. Je lis comme toi peu de recueil de nouvelles et jamais de science-fiction : Damasio est réputé pour écrire de magnifiques romans que l’on me recommande souvent mais c’est un genre où je n’arrive pas ni à me projeter ni à m’intéresser….. 🙂

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    1. Ce n’est pas du tout mon univers, mais j’ai tellement promis que je lirai la horde du contrevent, que je me dois de le faire…. Sinon, mon fils, dont c’est le livre culte va finir par m’en vouloir ! Mais aussi parce que le style de Damasio m’a profondément convaincue, c’est une langue brillante !

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    1. La horde du contrevent sera surement au programme du pavé de l’été en ce qui me concerne ! Et oui, quelques nouvelles donnent une idée, avant de se jeter dans le grand bain.

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    1. Je l’ai découvert à l’occasion de Mai en nouvelles, sur la liste d’Ingannmic, et comme je la copie souvent, et que j’avais envie de découvrir cat auteur, voilà qui est fait. Sans regrets.

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  2. J »ai essayé Les furtifs, abandonné très vite, je ne comprenais rien… Mon fils qui adore cet auteur m’avait conseillé La horde du contrevent, qui d’après lui est plus abordable que Les furtifs… Peut-être un jour essaierai-je…

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  3. je ne suis pas encore entrée dans l’univers de Damasio il faudrait que j’essaie quand même surtout que je note régulièrement des titres dans ma PAL après avoir lu des critiques enthousiastes 🙂

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    1. J’avais en projet la lecture de La horde du contrevent depuis un petit moment. Grâce à ses nouvelles, j’ai fait les premiers pas vers cet auteur et je sais que je vais continuer, à cause de son traitement particulier de la langue, mais aussi de ses thématiques, particulièrement bien évoquées dans la note d’Ingannmic.

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  4. Je te rejoins complètement, j’ai beaucoup moins accroché aux textes à l’ambiance « onirique » (je fais surtout référence au commentaire que tu as laissé chez moi), alors que comme d’habitude, j’ai été très sensible à sa réflexion sur les limites de la technologie… et oui, l’écriture, quel régal encore !! Si tu as aimé le style, tu vas adorer La Horde, c’est sûr !
    Et moi, je n’ai plus qu’à lire « La zone du dehors », qui m’attend sur les étagères.

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  5. Comme toi, je ne mets que très rarement les pieds dans la sf. Ton billet, passionnant à lire, m’intrigue à lire quelques nouvelles, mais pas la totalité.
    Merci pour ta participation cette année!

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