Andrew est plus beau que toi, Arnaud Cathrine et the anonymous projet

72-014-USA-L1950_HD_PICTOC’est l’histoire des Tucker, les deux parents, Mason et Ashley, et leurs deux fils, Ryan et Andrew, des frères d’ailleurs, plutôt que des fils. C’est l’histoire, aussi, d’un microcosme des années 50, en Californie, dans une middle class très middle, de vies ratées par conformisme social et moral.

L’ainé des frères, Ryan, est né par hasard. Mason et Ashley  se sont embrassés sur une grande roue, Mason est parti délivrer le vieux continent en débarquant sur les plages normandes. Ashley a écrit, Mason dit n’avoir reçu aucune lettre et c’est à son retour qu’il se découvre père. Et les wagonnets sont partis sur des rails. Puisqu’il y a l’enfant, ils se marient. Puisqu’il y a le deuxième, ils le restent. Puisque Mason devient dépressif après la disparition inexplicable de son frère, Ashley reste.

Ce qu’ils auraient pu vivre à la place de cette tristesse ordinaire, de ces poids de non dits, doit sûrement les titiller mais les deux frères ne le découvrent que bien plus tard, devenus adultes et ayant fui les carcans. Il est bien trop tard,  les conventions morales et sociales ont depuis longtemps verrouillé la parole et les gestes et glacé les relations.

Ryan et Andrew sont donc frères avant tout et chacun d’eux raconte à son tour l’enfance et l’adolescence. Complices, ils se comprennent et chacun touche les interdits du bout des doigts sous le regard de l’autre : l’homosexualité pour Andrew, l’adoption de prise de positions politiques gauchisantes pour Ryan.

Les deux itinéraires sont placés sous le signe de la photographie, celles que prend Andrew de ces corps masculins, objets de son désir, qu’il peut ainsi fixer, support de frissons érotiques, tandis que Ryan se défoule de ses frustrations adolescentes avec les revues pornos du père, avant de lui aussi faire de l’appareil photo, toujours paternel, un usage érotisant. Puis, de prendre conscience de la force évocatrice de ce média qu’il utilise petit à petit pour fixer les images d’un quotidien d’une banalité édifiante, à la manière d’un Robert Franck dans Les Américains. Ce photographe devient son modèle, comme lui, mais en couleur, « il capte tout ce que notre regard balaie d’ordinaire et ne songerait même pas à fixer ». L’idole d’Andrew est Kerouac, héros de la contre culture, vers laquelle son grand frère l’a poussé pour l’éloigner de la gangue parentale. Il s épanouira à San Francisco.

Mais le grand intérêt de ce livre est le support des photos, des polaroïds aux couleurs du Kadéochrome, proches par leur banalité de l’entreprise de Robert Franck, sauf que ces images sont celles d’anonymes, prises par des anonymes. Les Tucker et leur vie s’incarnent dans des clichés de canapés de salons de banlieue de la middle class, un grand père qui pose avec une prise et son petit fils, un homme et sa fille endimanchée devant une porte de garage. Les personnages des polaroïds deviennent des anecdotes du récit des deux frères, comme cette petite fille, justement, dont le potentiel de prédatrice vicieuse s’incarne en Amy,  tentant d’embrasser un Andrew terrorisé dans les recoins, alors que les parents dinent selon les formes convenues.

Les diapos possèdent en elles mêmes un pouvoir d’évocation, ces vies minuscules capturent une mémoire collective et le récit et les images fonctionnent en un va et vient assez fascinant, sortant les visages et les postures de l’infra ordinaire et la dramaturgie familiale en prend un supplément d’âme.

Un autre projet similaire a été réalisé par The anonymous Projet, avec la plume de Justine Levy, j’aurais bien poursuivi l’aventure , mais d’après Marie Claude, Histoire de famille est beaucoup moins convaincant que celui-ci. Je m’arrêterai donc là, avec regret.

Une nouvelle lecture commune avec Ingannmic, son avis est ici ! et une participation au challenge petit bac, catégorie prénom

 

Petit Bac 2021

18 commentaires sur “Andrew est plus beau que toi, Arnaud Cathrine et the anonymous projet

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    1. Mince ! je n’ai pas été claire ! Les photos font partie du livre, tu passes de l’un à l’autre, elles sont le support visuel mais aussi un peu plus puisqu’elles donnent un univers culturel repérable. Comme l’explique Ingannmic, le lecteur peut aussi y retrouver des bouts de souvenirs.

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    1. Je ne connaissais pas ce projet, j’ai vu qu’il y a eu des expositions de ces photos, j’espère pouvoir en voir une un de ces jours ! En tout cas cette découverte m’a vraiment beaucoup plu et convaincue de continuer à suivre d’éventuelles autres publications.

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  1. Ta note est super, comme d’habitude ! J’ai beaucoup aimé l’expérience, malgré le léger bémol exprimé dans mon billet. La relation fraternelle m’a particulièrement touchée.
    J’ai vu que The Anonymous Project avait publié deux ouvrages de photographies, je vais sans doute me laisser tenter..

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    1. J’ai lu ton bémol, mais le fait que les personnages ne soient pas les mêmes sur les différentes photos ne m’a pas gênée, je m’amusais à chercher qui était qui. Ce qui m’a plu c’est aussi le flou que permettait cet aspect interchangeable.
      Et je pense aussi me laisser tenter par d’autres publications, faibles choses que nous sommes ! ^-^

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    1. Le va-et-vient entre les deux est très séduisant, je me demandais souvent si c’était la photo qui avait généré les personnages ou ce que cela aurait donné si elles avaient été le support d’une autre histoire, c’est un livre qui ouvre plein de possibles. J’ai beaucoup aimé cet aspect.

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    1. Oui, j’ai beaucoup aimé cette expérience de lecture qui m’a rappelé aussi Les gens dans l’enveloppe, basé sur un principe similaire. Et merci pour ton enthousiasme sur ce livre à l’origine de cette lecture commune et de cette découverte du projet.

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