Luigi Lucheni, l’anarchiste qui tua Sissi

1181039362_fIl s’agit d’une curiosité qui ne pouvait que retenir mon attention, les mémoires de l’homme qui tua une icône, la princesse la plus emblématique de cette fin de siècle où les idéologies monarchistes et conservatrices se télescopent avec les réalités sociales et politiques, d’où émergent l’utopique envie d’une autre pensée possible …

Lorsque Luigi Lucheni écrit ce texte, il est en prison, condamné à perpétuité. On sait qu’il devait y avoir plusieurs cahiers mais seul le premier, le récit de son enfance a pu être conservé.

Et l’histoire de Luigi Lucheni, Luigi Lucheni veut la raconter comme une trajectoire emblématique, ce que l’on peut comprendre, vu sa situation, faut bien qu’il justifie son acte criminel par un destin fatal. Il faut dire que côté fatalité, il a tiré le gros lot (même si il ne se présente pas comme une victime, plutôt comme une victime exemplaire.) Il est né en Italie, abandonné par sa mère, sans doute engrossée par le fils du « maitre ». Dans l’Italie rurale de ce siècle, les paysannes domestiques illettrées n’ont pas d’existence, il ne lui en veut d’ailleurs pas, car elle aussi fut une victime. Les véritables coupables sont les « maitres », terme vague qui désigne tout homme possédant un peu de pouvoir sur plus faible que lui. Et du coup, pour les enfants abandonnés des jeunes filles abusées, les « maitres » sont légion.

Mais pour Luigi, les responsables de sa misère d’enfance perdue, ceux qu’il pointe du doigt, sont les dysfonctionnements des administrations, ceux qui ont négligé les devoirs envers les enfants confiés aux hospices par des familles qui ne pouvaient les garder, ou les enfants abandonnés, comme lui, sans famille. Les manques de ces institutions qui devaient leur assurer au moins un espoir d’éducation et de survie ont fait de lui, un esclave, exploité par des miséreux qui ne les considéraient que pour la pension qui était accordée en échange ( tout théorique dans son cas) de « soins éducatifs » normalement surveillés et contrôlés. Livré comme une bête de somme à un couple plus proche de l’animalité que de l’humanité, Luigi se montre malgré tout empreint d’une dignité qu’on lui refuse. Si il est devenu meurtrier, c’est qu’on lui volé « sa part de soleil », il est un criminel  » artificiel », fabriqué, et il s’offre à l’étude des criminalistes pour affirmer que  » ce n’est pas un stupide qui a tué Sissi. Il veut prendre la parole aux FORTS. Les majuscules sont dans le texte ( qui n’en manque par ailleurs) car le style de l’auteur est ampoulé, daté ,voire emphatique et pour nous, aujourd’hui ronflant et d’un lyrisme révolutionnaire qui peut paraître bien naïf et simpliste ( mais il faut l’excuser, ce style est celui de son époque d’écriture, le texte est dans son jus pamphlétaire…)

Comme il s’agit seulement du premier cahier, la pensée politique de Luigi n’est pas encore élaborée, elle est plus proche du cri de colère que des théories « grand Bakounine » et de celles des tenants de la « propagande par le fait » dont il se revendiquera lors de son procès. On ne saura donc pas davantage de son itinéraire, du moins vu par lui même, ni comment ce crime social a pu prendre forme, ni si ce n’était qu’un geste de gloriole, de vanité, comme il le récuse.

La préface d’Hervé Le Corre tente de lier ce destin à nos temps modernes, ce n’est pas très convaincant, je trouve, mais force est de reconnaître comme il l’écrit que  » nos sociétés continuent à fabriquer misère, injustice et violence, de se barricader derrière des lois toujours plus répressives et d’y jeter les réprouvés dans des prisons toujours pus sur peuplées. » Les modalités de cette fabrication étant encore plus complexes qu’au « bon vieux temps » de la lutte des classes.

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