Un homme marche dans la campagne en noir et blanc, et on ne voit que ses chaussures. Le paysage n’est pas particulièrement beau, il est quelconque, comme les chaussures de l’homme. Le cadre est serré sur ses pas, qui semblent lourds, réguliers. Dans les bulles, il y a une voix off et le crissement des chaussures sur le gravier, le son est écrit en petit, puis en plus gros. On sent qu’il est grave mais aussi rassurant. A la fin de ce roman graphique, on retrouvera cet homme, la silhouette est alors dessinée en entier et il donne la main à un enfant, sinon, c’est à peu près le même chemin, la même idée du pas.
Entre les deux, Morvandiau raconte son histoire, celle d’un fils et d’un père. En juin 2005, il apprend que l’agressivité de sa mère et ses sautes d’humeur ont un nom : la démence franco-temporale précoce. La mère qu’il a connu est en train de disparaitre. Septembre 2005, son fils, Emile nait, prématurément car l’échographie a repéré une anomalie dans le développement du fœtus. Quelques jours plus tard, le diagnostic tombe, Emile est trisomique. C’est l’effondrement, « la mort bouleversante d’un intime fantasmé » écrit l’auteur. Ce bébé met tout à l’épreuve, le rapport à la singularité, notamment, dont l’auteur se dit friand en littérature. Dans la vraie vie, la singularité d’ Emile, c’est pour de vrai, les réactions défilent, amis, voisins, soignants, en petites phrases qui font rire jaune, ou pas. Emile, c’est se garer sur des places handicapées, un quotidien surchargé, une administration labyrinthique. Emile bouscule tout.
La force de ce roman graphique est dans le rapport entre l’image et le texte. Le texte raconte, mais pas l’image, elle n’illustre pas, elle commente par elle même ; ainsi l’auteur dessine un paysage urbain familier, mais en friche, en cours de démolition, ou bien il reproduit des affiches de promoteurs immobiliers qui promettent un avenir radieux pour une famille idéale. Alors que la famille d’Emile, on ne la voit pas, ni Rozenn, sa mère, (l’auteur précise que c’est à sa demande à elle), ni ses deux grandes soeurs. L’auteur se représente à peine, une silhouette esquissée à côté de son fils. Quelques vignettes sont consacrées à Emile, qui tente de s’habiller tout seul, tirant la langue pour enfiler une chaussette, les bras coincés dans un pull emberlificoté, un sourire … Les freaks du film La monstrueuse parade se mêlent aux pictogrammes des places pour handicapés, toutes ces images que l’inconscient collectif trimballe, malgré soi. Eléphant man, Rain man, cohabitent avec la réalité d’Emile, évoquant la confusion dans la représentations des handicaps. Et tandis que le petit garçon grandit, rentre en CP, imbattable en play list, c’est avec les dernières images de vol au dessus d’un nid de coucous que meurt la mère de Morvandiau, dans un grand silence pudique.
Un roman graphique autobiographique dont l’intimité n’est jamais dérangeante, sans lyrisme, c’est juste qu’avec Emile, il a fallu tout réinventer, même la manière de le raconter.
Ce touchant roman me permet de participer aux lectures autour du handicap
En voilà une belle proposition de lecture autour du handicap, me voilà complètement convaincue !
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Il y a une vraie force dans le texte, mais ce qui m’a frappé est vraiment le rapport texte et dessins. Je lis peu de romans graphiques et je n’avais jamais vu ce type de travail. A retenir, c’est certain !
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j’avais adoré cette BD je te donne le lien pour que tu lises tout ce que j’avais ressenti
https://luocine.fr/?p=12997
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On a la même planche préférée ! Toute en sensibilité, sans un mot …
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Une BD à ne pas manquer. Arriver à faire un album à partir d’épreuves aussi dures, il faut avoir un sacré talent.
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L’auteur vise vraiment juste notre intelligence, il joue du dessin pour mettre à distance et nous interroger plutôt que nous faire pleurer.
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Oui, quelle belle proposition. Je m’empresse de le noter. Le traitement entre texte et image me semble très fort.
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J’ai tenté de l’illustrer avec la vignette que j’ai trouvée pour mon article … Tu as ce personnage de freaks avec la voix off qui commente un épisode compliqué du quotidien évoqué juste avant. Mais sur une seule image, ça fonctionne moins bien, forcément. J’espère quand même que ça donne une petite idée.
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Oh mais très très intéressant !
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Oui, vraiment, j’espère que d’autres lecteurs seront tentés et aussi convaincus que moi !
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