Aux animaux la guerre, Nicolas Mathieu

70f4a5a02a4c4ffdb03539633868234eDans les Vosges, sur les murs du local syndical de l’usine Vélocia, les affiches syndicales tendent encore leurs slogans qui fleuraient la victoire. Elles sont d’un autre temps, celui où les ouvriers pouvaient faire trembler les patrons, celui où la culture ouvrière donnait une légitimité au travail qui bousillait les corps pour un SMIC ; La CFDT vous protège, FO avec vous, Ensemble avec la CGT. Aujourd’hui, personne n’y croit plus, même plus Martel, pourtant représentant respecté du personnel. Il tient tête à la DGH et au DG, il tente de maintenir une résistance avant la catastrophe annoncée, côté boulot. Côté vie personnelle, c’est fichu. Ex « mauvais garçon », il s’est racheté une conduite en s’endettant pour sa mère, qui perdait la tête, et là, comme il a piqué dans les caisses du syndicat, la déroute totale le nasse dans ses filets. Martel fait le videur occasionnel dans un dancing minable et touche sa part d’un trafic à la petite semaine qui se tient sur le parking, mais ça ne peut pas suffire.

Bruce fait les gros bras, il admire Martel, mais il a le front bas, très bas, et plein d’acné que font germer les hormones qu’il s’injecte dans les cuisses. Bruce est violent, buté, le type même de l’imbécile obtus qui peut devenir dangereux à l’usage. Il rêve de gros trafics et pense à coups de cocaïne. Bruce vit avec sa jeune sœur, sa mère et son grand-père, à la Ferme. La mère ne compte pas, ou presque, le grand père, par contre, est un ancien du FLN, un gros bras lui aussi, mais qui a su tirer son épingle du mauvais jeu. La ferme est retirée, la cour encombrée d’une caravane dégingandée … Lydie, la jeune sœur, roule des mécaniques au lycée, fume derrière les murs et joue de son anatomie avenante sous le nez des jeunes gars qui en tirent la langue bien bas, genre loup de Tex Avery. C’est d’ailleurs le cas de Jordan, sauf que les yeux timides du jeune homme manquent de sueurs viriles pour la jeune fille en quête de sensations fortes, dancings du vendredi soir et pétards à gogos … Il y a si peu de choses à faire quand l’horizon est si bas et si lourd qu’on ne voit pas le fond du couvercle.

Et puis, il y a Rita, l’inspectrice du travail qui n’hésite pas à jouer les gros bras, elle aussi, mais pour sortir un apprenti boucher des petites combines de son patron, qui soutient Martel en tirant un peu sur la corde de la loi … Rita dont Victoria un soir, coupe la route et c’est cette jeune fille à la beauté d’enfant perdue, qui sans le vouloir, bouleverse la donne distribuée jusque là …

Tous les personnages de ce roman sont pourtant des combattants, à leur mesure, des perdants d’avance touchants, complexes, rugueux et cabossés, des prolos du sentiments qui s’accrochent à leur façon à des rêves de mobylettes qui rouleraient plus vite et plus loin, mais ils appartiennent à un monde qui se délite, qui leur échappe. On entre en empathie avec leurs illusions perdues, ou pas tout à fait perdues encore, de leurs amours entrevus malgré tout, malgré la violence où l’engrenage des mauvais choix les entrainent.

Aux animaux la guerre est un vrai polar, un vrai polar social, dense et haletant, qui propose une vision sans concession d’un état de fait, la pente vertigineuse d’un déclassement social mais surtout culturel où les repaires se brouillent et sont noyés, laissant la place au racisme et au mépris de soi même.

Petit bac 2022

18 commentaires sur “Aux animaux la guerre, Nicolas Mathieu

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  1. Sans doute trop noir et aussi des personnages trop caricaturaux je ne me retrouve jamais dans un monde tout blanc (celui ou les syndicats protégeaient bien les ouvriers) et tout noir (celui du monde déglingué après la fin de l’industrialisation)

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    1. C’est sûr que l’univers est noir, mais le propos n’est pas manichéen. Le personnage de Martel incarne une forme de lucidité justement sur les illusions d’un monde tout blanc d’avant. Les autres personnages sont aussi ambivalents, sauf Bruce, mais il fallait bien un bon gros méchant pour que ça percute !

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  2. J’ai une tendresse particulière pour ce roman, car il fait partie de ceux que j’ai découverts par hasard, sans en avoir jamais entendu parler, en rencontrant l’auteur sur un salon. J’avais beaucoup aimé aussi (je n’avais juste pas compris l’intérêt du prologue…) notamment comme tu le précises, cette complexité des personnages, êtres ordinaires que l’auteur place dans des circonstances extraordinaires propres à révéler certains de leurs penchants, et puis cette ambiance grisâtre..

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    1. Bon, ben moi, ce n’est pas un hasard puisque je l’avais noté en farfouillant dans ton index des livres lus, je ne sais plus trop pourquoi j’avais lu ta chronique, publiée il y a déjà un certain temps. ( tu me diras, c’est une sorte de hasard aussi …) C’est vrai que le prologue n’a pas trop de lien avec la suite de l’histoire, si ce n’est pour planter le personnage du grand père et peut-être aussi justifier que la famille de Bruce soit à l’écart de la réalité du village, encore plus en marge …
      J’ai vu aussi que tu avais apprécié Leurs enfants après eux, qui ne me tentait pas au moment de sa sortie, et maintenant si.

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    1. Ingannmic a une longueur d’avance sur moi pour la découverte de cet auteur, mais je compte la rattraper ! En tout cas, je conseille ce titre, le récit est efficace, la tension est bien menée. Tu te demandes sans cesse quand est-ce que cela va déraper … Et même si les personnages sont bancals, ils ne sont jamais pathétiques.

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    1. Je ne sais pas si tu as connu et aimé la grande époque du polar social dans la série noire, mais ce roman est dans cette veine là. C’est noir, c’est dur, mais ça se lit à toute vitesse !

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  3. J’ai beaucoup aimé ce roman, tout autant que Leurs enfants après eux, et Rose Royal… Nicolas Mathieu est génial pour créer des personnages et des situations auxquels on croit.

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    1. Ben me voilà avec une bonne liste ! Comme d’habitude, je vais quand même espacer un peu les lectures d’un même auteur et voir ce qui est sorti en poche. Même si là, tu me donnes envie de me ruer en librairie ! ( heureusement, c’est dimanche ^-^)

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