La guerre est une ruse, Frédéric Paulin

Algeria 1992 Elections

Alors que la guerre en ex-Youloslavie envahit les écrans télévisés dans une quotidienne indifférence, alors que le génocide du Rwanda ne porte pas encore d’autre nom que « massacres inter ethniques », c’est en Algérie que le nouveau chaos se prépare. 1992, tout est encore larvé, souterrain, obscur. Les kalachs lâchent des rafales dans les quartiers et les banlieues d’Alger, fauchant au hasard des anonymes, des qui relèvent un peu la tête, des qui pratiquent un Islam jugé trop modéré, des qui soutiennent le parti de la France, et les femmes se voilent par crainte d’un jet de vitriol. Mais le hasard est quand même souvent bien renseigné.

L’armée est au pouvoir et, officiellement, combat les islamistes dont le parti a été interdit. Les islamistes combattent le pouvoir et ses complicités françaises. Officiellement, le gouvernement français n’a rien à y voir. Mais les cancrelats sont en ordre de marche, de tous les côtés, et avancent des pions masqués.

Dans ce roman, les personnages grouillent aussi. Certains, au départ, ne sont que des ombres. Moussa est homme de ménage dans un camp de rétention perdu dans le désert. La gégène ayant la main dure, des corps disparaissent. Des islamistes, tous ou presque. Raouf Bougachiche est l’un d’eux, il a choisi dieu, et y perd son âme. So frère, Slimane, a choisi l’armée, et ce n’est pas beaucoup mieux, côté humanité. Khaled, a été un bon élève dans un lycée de Vaulx en Velin, avant de perdre les rêves de ses parents, immigrés de la première génération et leur foi en l’intégration. En prison, il a appris l’arabe et l’Islam, depuis, il attend l’appel de la vengeance contre la France. Bourbia, colonel de l’armée de l’ombre, planque derrière les verres fumés de ses lunettes cerclées d’or, un cynisme à toute épreuve …

Dans ce bourbier, complexe et explosif, deux hommes semblent y voir un peu plus clair en dépit de leur hiérarchie, ils appartiennent tous les deux à la DGSE. Tedj Boulazar est franco algérien, trop blond pour être algérien, trop algérien pour les islamistes. Le second, Bellevue, surnommé « le vieux », est un brisquard du renseignement en Afrique. Tous les deux sentent l’Algérie et accumulent rumeurs et indices, au flair et à l’instinct. Ils tentent de reconstituer l’imbroglio avant que tout n’explose, mais les pistes sont brouillées par les camps aux frontières très poreuses, le politique, le religieux, l’économique, les fantômes de l’histoire.

Les sigles des différentes organisations sont nombreux et j’ai été un peu perdue au départ entre DST, DSS, FIS, et les références politiques que je maitrise mal, mais ce roman est construit de courts chapitres, qui forment une véritable machine de guerre, une angoissante course poursuite où se télescopent les vérités aperçues, supposées et le puzzle est est sidérant, parfaitement crédible. Ce premier tome, passionnant, d’une trilogie démonte les rouages protéiformes de la matrice du terrorisme.

Le ventre est encore fécond …

10 commentaires sur “La guerre est une ruse, Frédéric Paulin

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  1. je me souviens bien de ce livre, je ne savais pas qu’il annonçait une trilogie . J’avais été complètement retournée par ce que j’ai découvert. Le pouvoir algérien a tellement de cadavres dans ses placards ! c’est plus facile de dénoncer la France (qui certes a eu un rôle terrible pendant la guerre d’indépendance), que de se regarder et d’analyser toutes les violences dont le régime actuel est coupable.
    si tu veux voir ce que j’en disais je te laisse le lien , (mais je ne dis rien de plus que toi)
    https://luocine.fr/?p=10168

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    1. Tu utilises une image très juste, celle des scorpions qui sortent de le fournaise, c’est tout à fait cela ! Tu soulignes aussi la violence, et il est vrai qu’elle irradie de tous les personnages, tout le temps, ce qui rend la lecture très tendue.

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  2. Une trilogie dont j’ai beaucoup entendu parler, mais pas forcément envie de lire. Encore et toujours de la violence, des luttes de pouvoir, des morts … quand l’actualité sera moins lourde, peut-être.

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    1. Franchement, je tournais autour depuis un moment … J’ai acheté ce titre en aout dernier … Il a fallu qu’une amie en parle et en reparle pour que je me décide. Je ne le regrette pas, même si l’entrée dans le roman a été un peu laborieuse, car c’est vrai que c’est du lourd !

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    1. Il n’y a pas de scènes descriptives insupportables, mais c’est l’ensemble de ce que tu découvres et comprends qui te met en tension. L’écriture est plutôt sans fioritures, c’est sec comme des coups de triques.

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  3. Voilà un sujet qui m’intéresse. Dans les années qui ont suivi, plusieurs chrétiens ont été assassinés en Algérie, dont les moines de Tibhrine. Leur assassinat n’a jamais été vraiment élucidé, ou on n’a pas voulu révéler ce qui s’est vraiment passé. La suite se passe-t-elle toujours en Algérie ?

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    1. D’après le résumé, non. On y parle plutôt d’un autre chaos, entre la guerre en ex-yougoslavie et l’Afghanistan …. Je sens que je me prépare un autre moment de lecture pas très gaie !

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    1. Malgré les sujets, très politiques visiblement, et très réalistes, j’ai hâte de lire les deux titres suivants. Pourtant, normalement, ce n’est pas ce type de romans noirs que j’apprécie, mais là, il y a vraiment une force !

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