77, numéro de la Seine et Marne. Selon le narrateur, on dit sept sept comme on dit neuf trois, même si le 77 n’a rien à voir avec le 93. Le 77 dans ce roman, se limite à une commune, Vernou la Celle sur Seine, dont dépend le village de La thurelle, les habitants sont les thuriots. Sur la place, il y a un monument aux morts, le long du village, la nationale, et l’abri bus où les lycéens attendent le car scolaire. Sinon, il y a des vieux.
Dans l’abri bus règne un silence spécial depuis quelques mois. les grésillements des pylônes électriques tiennent lieu de cigales, au loin, des chiens aboient, le tracteur du père Mandrin remue déjà la terre, les mottes de terre grasses et marron qui tiennent lieu de paysage, avec les tags du pont. 77, ce n’est pas le 93, mais ce n’est pas Paris non plus, c’est le 77 sud. Le narrateur y tient. Il fait parti des anciens dans l’abri, avec ceux qui furent ses amis, sa bande, Enzo le futur traitre, et celle qui ne veut plus qu’on la surnomme la fille Novembre. Chacun connait sa place, même les nouveaux, les faux jumeaux qui viennent du nouveau lotissement, et le grand Kevin, qui vient de celui des barres d’immeubles.
Mais l’histoire que raconte le narrateur en un flux de conscience qui dévoile lentement les déchirures a son commencement bien avant l’arrivée des nouveaux, dans le temps de l’enfance où les trois anciens étaient une bande. Le temps des jeux de terre et de vers de terre, le temps où l’abri était le monde d’où ils se projetaient dans des rêves de Squad et d’évasion. La fille Novembre, avant, c’était une boule de rage qui savait cogner les plus costauds. Maintenant, elle s’attache les cheveux et met du mascara. Enzo, l’ancien meilleur ami porte les vêtements standardisés attendus dans son école privée. Le narrateur, lui, s’enfonce dans sa capuche. Lorsque le bus arrive, en un fracas de vérins et dans le flot continu des chansons de Polnareff, il reste sous l’abri. D’ailleurs, cela fait des semaines qu’il reste là, toute la journée à tourner en boucle les souvenirs, il ne croit plus au jeu des couleurs des voitures qui réaliseraient les voeux, seuls le bruit des véhicules qui passent le ramène à un présent désenchanté.
L’abri au moins est solide et sûr, l’abri ne trahit pas. Son mur tient la colonne vertébrale. Il est ancré, encastré dans le béton alors que, joint après joint, le jeune homme dévide le fil de l’histoire de la bande, des vieux, de l’ancienne centrale électrique, du père Mandrin qui les appelait ses petits lapins et qui tuait les chats, du dernier pompiste qui boit tellement de pastis qu’on ne sent plus l’odeur de l’essence et qui rêve de Tchao pantin.
Le narrateur raconte la dislocation mais en réalité, au fil des non dits, ce que l’on comprend est qu’elle a toujours été là. Il parle une langue rappée, scandée, fragile, entrecoupée de ses silences sur son corps de lâche, son surnom infâmant, son statut de paria, son acceptation, son attachement à cette terre, à ces couleurs, ses peurs de ne pas être un homme, un dominant. Il n’est pas un voyou, pas une racaille, mais ne veut pas être une victime. Pris entre la guerre des boutons de l’enfance et la cruauté des rapports sociaux qu’elle masquait, le modèle d’une virilité dévastatrice le hante, être lui aussi celui qui donne les coups, celui qui pense que lorsqu’une femme dit non, c’est un presque oui, que sa faiblesse est une honte.
Le texte se construit sur un rythme vraiment singulier dont se dégage une énergie quasi boxée qui tient la voix fragile du narrateur, tout au long du cycle des souvenirs. Au bord de la Nationale où les bolides creusent son intense solitude, le narrateur se retient sur un fil.
Je suis sceptique devant un tel texte…
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C’est le style « rappé » qui te rend sceptique ? N’hésite pas à feuilleter ce roman … Une fois lancée, l’histoire prend aux tripes !
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Oui, tu as raison, il faudrait que je le feuillette.
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Tu racontes très bien. J’ai aimé lire ce billet
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Merci beaucoup ! Le roman est vraiment un texte à découvrir, pour l’écriture et pour le personnage dont on découvre petit à petit la souffrance enfantine … Il est un peu comme un oignon, les couches se défont les unes après les autres (la comparaison manque de poésie !)
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Oui, je rejoins Luocine, très chouette billet ! Et tes lectures citadines se révèlent pour l’instant très fructueuses..
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Merci beaucoup ! Je suis contente que ce billet plaise parce que je trouve que c’est un texte à défendre ! J’ai lu ici et là qu’il avait été très remarqué à sa sortie mais c’est ma libraire qui me l’a mis dans les mains et elle a été de fort bon conseil.
Et oui, pour le moment, la ville m’apporte de très bonnes lectures !
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Un titre facile à retenir ! mais à part ça, ce n’est pas une histoire qui me tente.
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On ne sait jamais … les personnages qui peuplent ce territoire périurbain convoquent tous une histoire qui compose un texte très fort.
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Une lecture un peu sombre ?
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Très très très sombre, avec une petite lumière à la fin quand même … Mais le rythme de l’écriture fait que la lecture est cadencée et ce n’est pas plombant, mais très prenant !
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Encore une lecture qui sort des sentiers battus ! c’est intéressant mais je ne suis pas sûre d’accrocher
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Je n’aurais peut-être pas dû insister sur la particularité de l’écriture, mais, en même temps, l’histoire de ce jeune homme est poignante ainsi racontée !
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