GAV, Marin Fouqué

cage box hanging on a chain

Un coup de feu dans une banlieue sensible, une manifestation pour le climat, plusieurs  agressions urbaines, presque ordinaires, un pétage de plomb dans les grandes largeurs, et neuf personnes vont passer une nuit en garde à vue dans un commissariat parisien. On ne saura pas les noms de tous et ils ne se croiseront d’ailleurs pas forcément, si ce n’est quelques hasards de coins de porte, quelques échos de chants de résistance ou de désespoir hurlés dans le vide.

Angel est bien connu de l’OPG. Il n’en est pas à sa première garde à vue. Provocations, humiliations, coups retors, il connait, il ne parlera pas, ne dénoncera personne. Il s’est mis à part d’une vie fracassée, il tente autre chose que la banlieue qui tourne en rond. Cette nuit, il faut juste tenir, se faire le plus petit possible, planquer son étrange sourire, blessure tue, souvenir d’un père parti, d’une mère qui a déjà trop souffert.

Dans une cellule voisine, un homme peste contre son sort : il est celui qui harcèle, qui marque son territoire d’homme puissant à coup d’agressions de guerrier. Une femme qui se refuse à lui n’est-elle pas qu’une effarouchée qui ne dit pas oui en disant non ? Une ombre qu’il a un peu bousculée au passage. Le monde n’est qu’argent et pénétration.

A coté ou plus loin, on ne sait pas trop, une autre voix en sourdine : ce matin là, il a fait le pas de la vengeance, de la revanche, de la seule réponse possible au mépris infligé à sa faiblesse, coincé entre ses rêves d’abdos d’acier et ses tocs qui l’empêchent de sortir de l’ascenseur, pétri d’angoisse, résistant à ses peurs en frottant à l’infini la porte de son appartement.

Il y a un vieil homme qui croyait à monde meilleur.

Il y a des Blacks Blocs plus si jeunes que ça, à la parole révolutionnaire pervertie par le goût de la violence.

Et il y a K-vembre, en lutte contre tous les hommes, et qui multiplie les rencontres tinder, à cause de la solitude.  K a écrit un premier roman « coup de gueule », mais  les éditrices  ne la rappellent pas, elle arpente les allées sans fin d’un gigantesque entrepôt et elle est en lutte, une lutte permanente, pétrie de colères et de frustrations,  contre les codes étiquettes qui défilent sur l’immense écran du téléphone attaché à son bras dans l’entrepôt : prendre l’article, le scanner, le mettre dans la caisse, la bonne allée, le bon casier, toute la journée, la course aux pulsations de l’algorithme et des frustrations … K est tellement en rage qu’elle s’est perdue.

Polyphonie de rages, de colères, qui se cognent aux mots dans un rythme qui secoue le lecteur, l’empoigne et le projette dans les impasses de ces monologues qui tournent en rond mais pas dans le vide, c’est un roman de boxe et de punch line,  dont les redites peuvent lasser mais aussi être vues comme le refrain de ces détresses. Il y a bien un fil conducteur, retrouver l’auteur des coups de feu, mais le flot des mots  entraine les images mentales, car, enfermés, les personnages ne peuvent plus que penser. Le lecteur ne peut que suivre les récits de ces chaos intimes. Les violences s’entrechoquent, celle de la machine policière, mais surtout celles des luttes vaines des longues journées d’avant qui les ont menés là. Et finalement, à l’orée de la lutte finale et des grands soirs, leurs minces espoirs ont disparu dans la misère sociale et le mépris de classe.

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7 commentaires sur “GAV, Marin Fouqué

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  1. Quel beau billet ! Pour un livre que je ne lirai pas :trop triste et trop dur pour moi. J’accumule en ce moment des livres sur la dureté de notre monde et ça me donne le cafard.

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    1. Et bien tu vois, moi, c’est un peu l’inverse … Je ne suis conquise que par les lectures un peu âpres en ce moment ! Tout ce qui n’est pas un peu « rentre dedans » me parait douceâtre. En tout cas, je conseille fortement ce titre, ainsi que 77 du même auteur ( qui n’est pas des plus gais non plus). Ce sont des romans de colères, et je crois que dès fois, la colère, ça fait du bien.

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  2. Je n’ai pas tout compris, si ce n’est que tu as aimé. Je suis comme toi, j’aime les romans qui secouent. On entre dans la période lénifiante de Noël avec agapes et excès « justifiés » à tous les étages + les injonctions au bonheur, ça me déprime rien que d’y penser…

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    1. En me relisant, je me suis rendue compte qu’effectivement, le dernier paragraphe était foutraque ! Et ce qui est certain, c’est que tu ne trouveras aucun conte de Noël dans ce titre ! Paradoxalement, le seul personnage quelque peu « heureux », mais c’est très relatif, est un policier, qui lit du Dante pour ne pas penser à ce qu’il fait dans ce commissariat….

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  3. Moi aussi, je suis plutôt « dans le dur » en ce moment, concernant mes lectures (mais en y réfléchissant, c’est rare que je n’y sois pas, car comme toi, j’aime ce qui secoue…).. J’avais déjà noté 77 ici, je rajoute celui-là à ma liste.

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    1. Je souris en te lisant, parce que c’est exactement ce à quoi je pensais en répondant à Luocine ! Les lectures qui secouent, c’est un peu ton truc à toi … J’ai un peu plus préféré 77, mais peut-être parce que c’était une découverte d’un style qui a un rythme « boxé » très marqué. En tout cas, je vais continuer à suivre l’auteur.

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