Darwyne, Colin Niel

pian-pirateBois Sec est un bidonville en lisière de la forêt amazonienne, dense, noire et grasse. Racines et bois y pourrissent plus vite qu’ailleurs, envahissant la cour et les moindres failles des murs de la baraque de Yolande, la mère de Darwyne. Yolande est une femme forte, elle mène sa barque à coups de débrouillardises, mais c’est aussi une femme qui ne peut vivre sans hommes et qui les installe dans son lit, derrière le rideau qui n’atténue guère les bruits du plaisir pour son petit garçon relégué sur son matelas, de l’autre côté. Darwyne numérote ces hommes qui lui volent sa mère et parfois deviennent violents, s’en prennent à lui, le bousculent, comme un obstacle qu’on écarte d’un revers, sous les regards de Yolande, peu encline à défendre son fils. Darwyne a dix ans, et en dix ans, il a compté huit beaux pères. Tous ont fini par disparaître, mystérieusement avalés par la forêt, Yolanda, ou la volonté du petit garçon. Allez savoir …

La mère a peu d’inclinations à la tendresse, c’est le moins que l’on puisse dire. Son fils, elle le surnomme « petit pian ». Un pian, c’est comme un gros rat. Elle lui mène la vie dure à Darwyne, pour son bien, pour qu’il devienne normal, qu’il marche bien droit, avec les pieds pas en dedans. Depuis sa naissance, elle a tout fait pour redresser le corps handicapé du petit.  Darwyne accepte tout, même son dégout tant il la voudrait à lui, toute à lui. Quand le monde de la cabane devient trop violent, c’est dans la forêt qu’il se terre et se métamorphose en un elfe quelque peu étrange …

Pourtant, quand un coup de téléphone anonyme dénonce Yolande comme mère maltraitante, et que Mathurine , qui travaille au service de la protection de l’enfance, se permet une visite de contrôle à la cabane, elle sort ses ongles vifs. Ce que le récit ne dit pas, c’est ce qu’elle protège … La relation torve entre la mère, le fils, le nouveau beau père et la forêt s’entortille alors dans le récit des désirs de Mathurine, désirs de forêt, désirs d’enfant … Mathurine, elle aussi, comme Darwyne se fond dans la faune amazonienne, sa flore, si opaques et fascinantes, sauf que l’enfant se joue de ce milieu hostile, en une surprenante osmose. Boiteux, et semblant mentalement attardé dans le monde civilisé, celui de l’école, de la ville, des locaux de l’aide à l’enfance, il devient dans le monde sauvage, celui de l’humus noir, des racines géantes, des troncs suants, un guide au savoir quasi magique.

Comme cette nature, le récit est dense. Il n’offre pas de porte de sortie limpide. Si la nature est reine que sa célébration est lyrique et sauvage, et si Darwyne est bien touchant dans sa quête d’amour, des ombres malsaines, des secrets glauques planent au dessus de la canopée. Une sourde ambivalence marque tous les personnages, à l’image de la forêt, vierge et pourrissante, refuge d’un amour fou et monstrueux.

Superbement inquiétant et troublant !

24 commentaires sur “Darwyne, Colin Niel

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    1. Je te recommande cet auteur, et je suis loin d’être la seule à apprécier à la fois sa conduite d’une histoire et sa capacité à nous plonger dedans … Du noir à s’en délecter ! Entre les fauves est très bien et aussi Seules les bêtes qui se déroule en plus dans un coin que tu connais bien, les causses !

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    1. C’est aussi les deux titres que j’ai lus de cet auteur et que j’ai préférés ! Tu auras sans doute alors envie de retrouver cette noirceur si bien écrite à un moment où à un autre … Ce n’est pas pire et Darwyne est un beau personnage, ambigu, certes.

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    1. C’est du bon ! Les premiers titres sont parus en poche si tu veux tester … Dans ce titre, la forêt est un personnage, c’est ce qui est assez mystique, mais l’histoire en elle même est bien celle de Darwyne et de son mystère.

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    1. C’est vrai que Niel fait dans un registre assez angoissant, mais il faut croire que j’aime avoir la chair de poule … Mais si cela te met mal à l’aise, il vaut mieux fuir ce titre. Je crois que des trois que j’ai lus, c’est le plus problématique concernant les personnages, et tout n’est pas dit …

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  1. Je l’avais noté, je crois n’avoir lu que des avis tentants à son sujet, mais j’attends sa sortie poche. Le hasard fait que j’ai regardé hier soir l’adaptation ciné de « Seules les bêtes », qui n’est pas mal du tout..

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    1. J’achète moins en ce moment, mais là, je n’ai pas résisté à la tentation d’un bon gros noir … J’ai vu moi aussi cette adaptation, quelques temps après avoir lu le livre, et à ma grande surprise, le film réussit à être prenant, alors que j’avais encore parfaitement l’histoire en tête.

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    1. Je te comprends bien …. Il me reste sa trilogie guyanaise à lire mais des échos m’ont un peu refroidie … Elle serait inégale et avec des longueurs. En même temps, c’est du Niel et j’ai bien envie de tout lire de cet auteur.

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