Le rideau s’ouvre sur une scène de crime : le corps du curé Perneig git dans la neige, un curé à peine respecté, à peine regretté, mais dont la mort, le policier en est certain, va changer le cours de sa vie morne et répétitive. le crime, est inhabituel dans le village aux confins de l’Empire où il s’ennuie entre ses déambulations vaines les jours de marché et l’ennui des autres jours. Ce poste dérisoire, toute la frustration qui pollue son âme, ses rêves de reconnaissance, tout va prendre enfin sens dans une mission salvatrice et grandiose : trouver le coupable … Mais le pouvoir est lointain et obscur, nébuleux et ses volontés trop grosses pour l’esprit du policier, un grain de sable dans l’engrenage souterrain dont le meurtre n’est que la première pierre, un hasard trop beau pour ne pas être utilisé, alors que les oriflammes d’une autre religion s’agite de l’autre côté de la frontière. Le premier acte d’une manipulation des peurs ordinaires dans ce lieu rustique et frustre qui a les couleurs des tableaux flamands du Siècle d’or.
Le cercle des notables, le maire, le rapporteur de l’Administration impériale, le maitre d’école, le conservateur des archives, se dessine dans un clair obscur de vices cachés, de lippes tombantes, de ventres ventrus, tout y est gras. Une nature morte où les yeux vides du gibier sont ceux des hommes qui ont sali la nappe du festin de petites saletés bien dégoutantes … Et Nourio, le policier, si il tente de garder quelques principes moraux, est rongé par l’orgueil. Il a l’allure médiocre, l’esprit hanté par un appétit sexuel insatiable dont il salit le corps de sa femme, à défaut d’un autre corps, plus interdit et sacré, celui de Lamia, la petite fille qui a trouvé le corps du curé.
Aux côté de Nourio, Baraj, l’adjoint fait un contrepoint. Aussi laid que grand, le géant est placide. Il aime l’ordre immuable des nuits passés auprès de ses deux chiens, Mes beaux. Solitaire, ravalé depuis l’enfance à une existence sommaire et sans tendresse, il pense en poésie sans le savoir, et son imagination, limitée par l’ignorance, ne lui permet pas de voir au delà des obscurs désirs de celui qu’il appelle maitre et de déjouer les entreprises des sbires qui vont finir par entrainer une communauté dans le crime et son oubli. Dans la neige, les traces poisseuses de l’histoire fondent aussi.
Reste Lamia, peut-être, à la sensualité d’une vierge flamande, la petite fille, seule lumière dans une tragédie orchestrée par un pouvoir qui n’a même pas à se montrer tant les esprits, empreints de dégoulinures, ne demandent qu’à obéir.
Le récit est aussi sombre que somptueux, mêlant les replis de la justice et du désir. Il convoque des images dignes des illustrations de contes cruels pour enfants rêveurs. Les hommes y sont des salauds ordinaires, primaires, violents et pourtant aussi nus que l’empereur qui se croyait vêtu. L’écriture est magistrale, empreinte d’une pesanteur crépusculaire et animée d’une puissance poétique lumineuse et minérale. Philippe Claudel fait du Bosch, en somme.
Quel bel article. J’ai eu du mal à entrer dans ce roman, j’ai failli abandonner après les cinquante premières pages et puis j’ai persévéré et bien m’en a pris. C’est sombre, et l’écriture met une distance qui m’a d’abord gênée. Il y a de très belles phrases, de très beaux passages mais qui ne suffisaient pas à m’accrocher… Et puis, la magie a opéré… C’est une belle réflexion sur la notion de vérité, de justice. Les personnages de Lamia et de Baraj apportent un peu de lumière à cette sombre histoire, l’innocence, la pureté, au milieu de tant de dépravations et de haine, comme une respiration. Ça rend le texte moins plombant…
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J’ai mis comme toi, un petit moment à rentrer dans le roman, mais à l’inverse par contre, c’est vraiment cette impression de « manger » du style, d’en prendre plein les mirettes qui m’a retenue dans le livre. Le personnage de Lamia est peut-être un poil trop « vierge à l’enfant » mais il fallait bien illuminer un peu le tableau d’un monde qui construit sa propre perte.
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je l’ai mis de côté avec la ferme intention de le lire, depuis les âmes grises j’aime cet auteur même si je n’aime pas tous ses écrits mais celui ci me tente et ton avis va dans mon sens donc youpi
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J’ai beaucoup aimé Les âmes grises, et entre plus Le rapport de Brodeck, dont le monde sombre, à la limite de l’onirisme, se retrouve ici. Je trouve que cet auteur sait mettre la noirceur en mots. Il se la coltine en cas avec une clairvoyance qui peut déranger. J’espère que tu aimeras, pour moi, c’est un grand bouquin.
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ah oui j’ai oublié le Rapport de Brodeck que j’aime énormément je l’ai lu en livre et en BD qui est splendide je te la recommande
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J’ai lu la BD aussi et il faut bien dire que si Claudel sait mettre la noirceur en mots, Larcenet a su le faire en images !
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De quoi renouer avec cet auteur dont j’ai beaucoup aimé les premiers titres, et qui m’a déçue par la suite…
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Le dernier titre de Philippe Claudel que j’ai lu n’était pas un roman mais un essai assez fantaisiste sur les écrivains, et cela date de 2016 … Les titres plus récents ne me disant rien, j’avais l’impression que ma période « fan de Philippe Claudel » était terminée … Mais que nenni ! Crépuscule est sombre, noir, et sans concession pour les âmes grises. Bref, il a tout pour te plaire !
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Tu en parles très bien et je pourrais me laisser tenter, ce que j’ai déjà lu de Claudel m’a plutôt plu… mais j’ai un petit doute à cause du procédé narratif un peu redondant chez lui et qui me lasse un peu.
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Il y a des échos dans Crépuscule des constructions narratives des romans précédents, c’est certain : comme dans les âmes grises, le roman commence par une scène de crime, par exemple. La nature est omniprésente, le pouvoir lointain et ses desseins tortueux comme dans le village du rapport de Brodeck, mais c’est justement cet univers « réaliste-onirique » que j’ai aimé retrouver. Et puis, le style est une force narrative, ici.
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Je n’ai pas encore réussi à lire l’auteur, faute de temps et peut-être que son univers très sombre me retient aussi.
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Tente peut-être Les âmes grises, l’univers est sombre, mais les personnages féminins irradient …(enfin, jusqu’à un certain point quand même parce que la lumière est fragile, chez Claudel.) Et dans un tout autre genre, j’avais bien aimé « De quelques amoureux des livres », qui n’est pas un roman, et qui n’est pas noir du tout mais plutôt drôle.
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je ne suis pas certaine d’aller vers ce roman mais j’ai peut-être tort. J’ai lu attentivement ton billet et tu le sais peut-être ton blog accepte les publicités et là à la fin de ton billet il y avait au moins 4 photos de Pierre Palmade dans ma tête ça a fait une sacré salade dans l’horreur ! heureusement il y a aussi des pubs pour les panneaux solaires c’est plus gai!
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Je ne suis pas certaine effectivement que cet univers soit vraiment ce que tu aimes et pourtant, comme tu proposes parfois des lectures assez noires, finalement, à emprunter à ta médiathèque, peut-être … ( c’est vraiment une réponse de normand, là ^-^)
Pour les publicités sur le blog, je ne les vois pas parce que j’ai un bloqueur de publicité installé sur mon ordinateur. Je crois que pour les supprimer pour tous les lecteurs, il faut une version payante de wordpress. Je vais quand même aller voir dans les paramètres, parce que la tête de Palmade, c’est sûr que l’on n’a pas envie de la voir associée à nos lectures.
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Ta conclusion pourrait suffire à me convaincre mais j’ai entendu pas mal de bémols deci delà qui font écho au commentaire de Krol… je vais donc attendre un peu, je pense.
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Je ne suis pas du tout surprise des bémols, même si j’ai évité de lire des notes ou des critiques sur ce titre, sachant que j’allais le lire. Je pense que les réticences peuvent porter sur l’aspect de la fable, forme récurrente chez cet auteur … Je vais aller voir ça, maintenant que je peux plus être influencée. Et le commentaire de Krol est plutôt positif ( mais c’est dommage, elle n’écrit plus de notes)
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Cela fait longtemps que je n’ai pas lu Philippe Claudel, je ne suis pas (ou pas encore) tentée par celui-ci, mais sait-on jamais…
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C’était aussi mon cas, et finalement, me voilà à nouveau conquise, comme pour ses tout premiers titres … Alors, effectivement, sait-on jamais ? !
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Voilà qui me rappelle qu’il y a longtemps que je n’ai pas lu cet auteur, que j’apprécie pourtant.
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Et oui, visiblement, nous sommes plusieurs à avoir laissé de côté cet auteur que l’on a pourtant apprécié … Peut-être que ce titre te donnera l’occasion de retrouver l’univers de ses premiers romans aussi durs et noirs que ce Crépuscule, et je me répète, d’une écriture puissante ! Et où les animaux valent bien plus que certains hommes ^-^
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S’il est du même cru que Le rapport de Brodeck, alors, je prends !
Bonheur du Jour (http://bonheurdujour.blogspirit.com)
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C’est du même cru !
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Je l’ai réservé à ma BM où il est victime de son succès. Je patiente…..
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C’est chouette que ce titre ait du succès ! Parce que quand même, la lecture en est relativement exigeante. Mais ce n’est pas toi que cela va arrêter …
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