Je découvre avec ce titre, la collection « Une nuit au musée » dont le principe est de planter un écrivain dans un lieu clos empli d’histoires pour qu’il en raconte une : exercice de style de double fond assez tordu pour me donner envie de voir ce que cela pouvait donner, surtout quand il se déroule dans un musée de la mauvaise conscience.
Le musée choisi par l’auteur se situe en Belgique, sur le domaine de Tertuven. Le château musée est hanté par la mémoire d’un barbe bleu, Léopold II, une boite qui enferme la mémoire d’un monde disparu, la Belgique coloniale qui en a fait disparaitre un autre, un territoire qui s’est appelé le Congo belge, par la volonté de ceux qui l’on découpé. Même l’édifice a mauvaise conscience. d’ailleurs, on l’a plusieurs fois changé de nom : musée du Congo Belge, à la gloire des maitres, il est devenu ensuite » le musée royal d’Afrique centrale », une tentative de neutralité hypocrite, et aujourd’hui, « L’Africa museum », le latin ça vous redonne un vernis à la honte, faut croire … Il n’y a pas que le nom qui changé mais aussi l’agencement des salles et la politique de l’exhibition. Mais le sens de la visite ne change rien aux cauchemars qui sont montrés et le récit de C. Boltansky fait ressortir les fantômes de partout.
Le musée qui a exposé les biens spoliés comme des trésors, ne sait plus trop quoi faire de ses reliquats devenus honteux. Alors que au temps de la victoire de la civilisation sur la sauvagerie, les bustes des gloires militaires étaient mis sur l’avant scène, aujourd’hui, ce sont les victimes qui accueillent le visiteur. Les statues de Sambo, Zao, Ekia, Pemba, Kitoukwa, Mihange, Mpéia, évoquent la mémoire de ces hommes et femmes qui furent exhibés dans le village nègre du musée. Morts dans l’anonymat, l’indifférence, le mépris, leurs silhouettes sont montrées comme un repentir. Mais toujours exposées finalement, alors que leur corps gisent quelque part dans la forêt du domaine et que l’orthographe de leur nom reste incertaine. Alors, que montre-t-on ?
L’auteur souligne le paradoxe et l’ambiguïté dérangeante de ces stèles mais aussi de l’ensemble des pièces commémoratives, souvenirs d’une curiosité morbide et aujourd’hui stigmate de la repentance contemporaine. Car, effectivement, que faire de ce Léopold avait conçu comme une vitrine, un dépliant géant à la gloire de la puissance coloniale, que faire de ces traces de massacres, d’humiliations, de spoliations d’une culture, de la richesse d’une faune et d’une flore exploitées par un tyran qui se disait philanthrope ? Ces traces, en effet, ont été photographiées, sculptées, ramenées comme des titres de gloire, alors, même si on ajoute des encarts explicatifs, cela reste des images des victimes représentées par ceux qui les exploitent. Les regards des hommes qui rapportent à leurs exploiteurs des paniers emplis de mains coupées, sont des regards de vaincus que l’on expose, peu importe la légende qui accompagnent ces représentations.
Dans la mémoire de l’auteur, reviennent Tintin au Congo, Au coeur des ténèbres de Conrad, sa mémoire de cette histoire mais aussi d’autres histoires, dont celle des belges qui ont ont fait du Congo un terrain de chasse et d’aventures exotiques, comme les Bookat, Alphonse l’ancien et Alphonse le jeune. Ce dernier fut le tueur de King Kasaï, l’éléphant qui trône aujourd’hui dans la galerie, au milieu des trophées empaillés. Figure emblématique du pillage, figure pathétique, dont l’auteur souligne la décrépitude : peau sèche et crevassée, oreilles élimées, défense pendante. Ces mémento mori d’une faune massacrée et rapportée en triomphe sont aujourd’hui des fantômes qui embarrassent. Alors, autour de la pièce maitresse de l’éléphant géant, les autres dépouilles animalières donnent l’illusion d’ une jungle ordonnée, une pseudo galerie de sciences naturelles.
Le texte est court, mêlant descriptions, souvenirs personnels, analyses des différentes strates de l’histoire et de la poussière sous le tapis. Il illustre toute l’ambiguïté de la problématique mémorielle : reléguer des statues dans les purgatoires, voiler les allégories glorieuses, inverser l’ordre des salles et recouvrir la honte par la bien pensance, parait ici être une autre relecture de l’histoire. Un texte sacrément instructif et dérangeant.
Un livre que je lirai volontiers. Effectivement quoi faire de la mémoire du colonialisme triomphant ? Pour moi ne pas l’effacer me semble très important. Et en même temps ne pas s’en glorifier. C’est un exercice difficile.
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La problématique de l’effacement est au coeur de cet essai mais aussi celle de la relecture de l’histoire. C’est un sujet qui me passionne tant il est complexe et essentiel.
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Dans cette collection, je n’ai lu que celui de Lola Lafon ; j’en lirai d’autres volontiers, c’est une idée originale et qui peut faire découvrir une oeuvre et son créateur.
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J’ai bien l’intention de lire le texte de Lola Lafon sur le musée d’Anne Franck et peut-être d’autres encore de cette collection. Je pense que j’ai mis le nez dans un nouvel engrenage !
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Je ne suis pas très réceptive à ces nuits au musée, mais j’ai entendu cet auteur dans le 28 minutes d’Arte et l’ai trouvé très intéressant.
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Je ne connaissais pas cet auteur avant de l’écouter dans la grande librairie et j’ai été convaincue par le sujet surtout. Je retiens aussi un autre de ses titres, Les vies de Jacob, un roman écrit à partir de photographies. Ce procédé de « fabrication » m’intéresse toujours.
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Je retiens que c’est un livre fort et dérangeant. Cette collection « Nuit au musée » semble intéressante
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Il est dérangeant parce qu’il interroge les limites de notre perception de l’histoire : relire la colonisation comme un processus culpabilisant reste un processus de colonisateurs.
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Je m’interroge parfois sur les dilemmes des conservateurs de musées : que montrer et que cacher ; pourquoi le cacher ?
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Ce que tend à montrer ce livre, justement, est que c’est en voulant cacher que l’hypocrisie se dévoile le plus … Paradoxe auquel le texte n’apporte pas de réponse, évidemment.
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Je n’ai lu dans cette collection que la nuit au Musée de Lola Lafon (sur le musée Anne Franck). Je note celui-là… Un musée que je ne connais pas mais l’exercice de style me plaît, celui de mettre un écrivain dans un lieu qu’il peut évoquer à sa guise…
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J’ai noté le titre écrit par Lola Lafon, et j’ai vu passer des commentaires dans l’ensemble positifs. L’idée me plaisant beaucoup aussi, je suis certaine de lire au moins celui-ci dans cette collection.
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