La vallée de la Santoire ( quoiqu’en dise le site touristique de Auvergne destination), c’est quand même bien paumé, sacrément trou du cul du monde. ça n’enlève rien à la douceur des paysages du Cantal, mais ce n’est pas du tout le sujet de ce roman, parce que la narratrice, elle y est coincée, dans cette vallée, victime d’un tyran domestique ordinaire et de la banalité des choix que la vie rurale des années 60 pouvaient proposer à une jeune fille. La narratrice a suivi le chemin balisé, de l’école du bourg au mariage.
Huit ans de mariage, trois enfants et quatre années qu’elle a signé à nouveau pour devenir à moitié propriétaire d’une grande ferme, prospère mais isolée. Les femmes suivent leur mari, c’est comme ça, et si certaines le suivent jusqu’au bout du département si le mari est garagiste, elle, son mari est fermier. Elle est de Fridières, lui de Soulage, on va à pied d’une maison à l’autre. Il a fait son service militaire au Maroc, il a échappé à l’Algérie, ils se sont mariés quand il est rentré. Il voulait devenir propriétaire, travailler à son compte, il a repéré cette grande exploitation, il fait rentrer les sous, alors elle est là, entre cuisine et linge. Les trois enfants, Isabelle, Claire et Gilles sont arrivés vite. Trois césariennes qui ont labouré son corps et les coups, très vite aussi, juste après le mariage. Elle est devenue lourde et molle, elle tente d’être invisible. Les humiliations l’ont dégoûtée d’elle même, de sa lâcheté, de son silence, de son acceptation. Pour tenir, elle fait des listes, plie le linge, fait le moins de bruit possible pendant la sieste de l’homme, trie le linge du dimanche pour la visite mensuelle aux deux familles. La sienne est plutôt chaleureuse, la mère mène la barque, le père est aimant et les deux soeurs ont fait d’autres choix que la ferme. Celle du mari est rude, dédaigneuse et taiseuse. C’est dans le silence de la maison familiale que les coups ont commencé.
De la sieste du samedi au repas du dimanche, dans le premier chapitre, le plus long, la narratrice mêle le temps de l’immédiat à celui de ses souvenirs, les lettres du Maroc, les regrets, les premiers bleus, d’autres regrets, une robe devenue trop petite, les jeux des enfants dans la cour, leur silence autour du père qui s’éveille. La tension est tenue dans ces minuscules parcelles de peur constante. Le second chapitre est sa parole à lui, bien plus tard. Il est plus elliptique, plus rageur, même si on ne saura rien des frustrations qui l’ont mené à la violence et la détestation d’elle. On ne saura pas non plus ce qu’elle a pu faire d’une liberté peut-être reconquise, ni quel prix ont été payé par les enfants, les filles qui lui ont rendu les visites obligatoires, et le dernier, le fils Gilles, dont le père méprisait les fragilités d’enfance, qui l’a fui. Et c’est Claire qui finalement clôt le récit en fermant la porte aux souvenirs, laissant derrière eux cour et balançoire.
De ces non dits, le récit tire une force étonnante, limpide, presque comme trois phrases musicales, toutes en atonies et suspensions, même pour lui, qui reste à la surface de lui-même et de sa mauvaise foi. Un court mais intense récit qui ancre les tensions intimes dans le noeud des conventions sociales, en quelques images, le jardin du devant de la ferme, celui que les voisins pouvaient voir en passant, a toujours été fleuri.
c’est ce genre de roman qui aide à comprendre des situations, des gens qui nous sont si lointains par le comportement et les mentalités… il y a une portée sociale très intéressante.
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L’autrice plante rapidement un décor social très lisible, à la fois proche et lointain, la ferme perdue dans un univers rural, le jeune fille fiancée puis mariée qui n’a rien vu venir. Et j’ai beaucoup aimé aussi l’écriture qui se moule sur chaque narrateur.
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Encore une autrice qu’il me reste à découvrir…
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Je la découvre avec ce titre, je voyais ses romans passer en librairie, sans penser que c’était pour moi, je ne sais pas pourquoi. Mais voilà que si … Peut-être en serait-il de même pour toi ? (par contre, Les sources est très court, tu n’en ferais qu’une demie bouchée)
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Je l’emprunterai peut-être à la bibliothèque, sans précipitation.
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Comme je le disais à Ingannmic, ce titre est vraiment très court. si tu te précipitais en plus, tu te retrouverais rapidement à sec de lecture ! ( Mais je ne pense pas que ce soit envisageable pour toi !)
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j’aime bien cette autrice . elle sait raconter en peu de mots et surtout n’idéalise pas la vie à la campagne.
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C’est exactement cela, une écriture qui donne à lire sans bavardages et avec peu d’ornement. Une découverte pour moi, qui aura des suites. J’ai effectivement entendu dire que ses romans se situaient toujours dans le monde rural. Visiblement, cela ne t’a pas lassé.
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Ce que tu dis de ce livre me donne envie de découvrir l’autrice et de sortir enfin « Histoire du fils » de ma pal.
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Je pense que Histoire du fils sera ma prochaine lecture de cette autrice. Une amie, qui venait de finir Les sources me l’a conseillé, ce titre, en me disant qu’il était plus abouti. C’est vrai que le dernier chapitre tourne un peu court en ce qui concerne Les sources.
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L’autrice est venue présentée son livre à La grande librairie. Elle avait éveillé ma curiosité
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Je loupe à chaque fois cette émission, et pourtant, j’ai une amie qui m’envoie un texto dès qu’elle commence ! En général, je le vois une heure après, ou le lendemain … Et comme je culpabilise, je la regarde parfois en replay, vite fait. Petit rituel qui nous fait sourire !
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oups, j’ai fait une faute ! « elle est venue présenter »
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Ca m’arrive aussi !
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J’ai toujours eu du mal avec cette autrice (oui je me sens seule), ça fait longtemps que je ne l’ai plus lue, je devrais peut-être retenter le coup…
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Ben tu vois, je la découvre, moi … Alors, évidemment, j’ai très envie de retenter le coup ! Qu’est-ce qui ne plait pas ? ( si jamais tu repasses par ici, je serai curieuse de le savoir)
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pour les titres que j’ai lus, le côté rural qui donne l’impression de plaire aux citadins et pas la rurale que je suis
… de surfer sur cette vague de l’ode à la simplicité liée à une sorte de nostalgie, je ne suis pas très claire peut-être 🙂
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Si si tu es très claire. Dans Les sources, en tout cas, il n’y a pas d’ode à la simplicité rurale mais effectivement une forme de nostalgie ( mais pas de regrets, (genre c’était mieux avant, loin de là). C’est peut-être le cas dans d’autres de ses romans.
Je suis citadine, avec un côté très rural et c’est vrai que c’est agaçant cette forme d’idéalisation d’une « vie simple et proche de la nature », d’un « retour aux sources » et autres clichés qui se sont répandus depuis le premier confinement …
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Je guette ce livre (j’aime l’auteure) mais les autres lecteurs sont là avant!
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Je t’imagine guettant derrière le bureau des prêts, prête à sauter sur la lectrice innocente, en vraie prédatrice de bibliothèque !
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Tu as l’air convaincue par ce titre. Mes amies du club de lecture ont des avis plus mitigés.
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Je pense que je manque de points de comparaison, n’ayant pas lu d’autres titres de l’autrice. J’avais peu d’attente et pour moi, c’est une belle découverte. Je vois bien ce qui pourrait être reproché à ce titre cependant, comme la fin, qui tombe à plat.
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J’aime vraiment beaucoup cette autrice dont j’admire vraiment l’écriture. Même si la dernière partie, trop courte, m’a laissée sur ma faim, j’ai adoré ce roman…
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J’ai été moi aussi frustrée par la fin, trop courte et qui n’apporte pas de réel point de vue extérieur sur le passé, mais tant pis parce que j’ai vraiment aimé l’écriture. Je vais aller voir chez toi les titres que tu as lus parce que je compte bien en découvrir d’autres.
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Finalement, j’ai retenu Le soir du chien et Histoire du fils, tes deux chroniques sur ces deux titres sont celles qui m’ont fait le plus envie, pour le moment …
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Bonjour Athalie, je compte bien lire ce roman. J’adore l’écriture de Mme Lafon. Bonne journée.
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Séduite moi aussi par cette première lecture. L’écriture est d’une fluidité assez étonnante, on se glisse dedans …
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interressant, j’aime quand les choses sont suggérées plutôt que dites 🙂
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Effectivement, c’est aussi ce qui m’a plu dans ce roman, les violences du mari, on ne te les dit pas, mais tu lis les conséquences dans les ellipses du récit, dans le rapport que l’héroïne a avec son corps, avec ses enfants …
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