Les gardiens de la maison, Shirley Ann Gran

chouette-effraie425054.hr_-resp1196Abigaël se tient sous la véranda de la maison depuis toujours familiale. En arrosant ses géraniums, son regard s’attarde sur la pelouse, si finement taillée d’habitude, et là, labourée, la clôture est  arrachée, dans  les champs, le bétail manque. De retours arrière en retours arrière, elle raconte l’histoire de sa famille, une famille du sud des Etats Unis au temps où être noir ou blanc déterminait les vies possibles, où un pas de côté pouvait déclencher une incontrôlable vengeance.  Même quand on est la descendante, comme la narratrice, d’une famille riche et puissante, quasiment propriétaire de la petite ville où bruissent le rumeurs, on ne déroge pas aux lois du sud.

La maison a été bâtie par le premier des Howland, arrivé en cette vallée par les hasards de la guerre d’indépendance. En ce coin vallonné et boisé, il a commencé à édifier un domaine et une réputation. Les Howland sont craints, orgueilleux et peu enclins aux relations sociales, on les dit un peu fous, et le grand père d’Abigaël, William, a entretenu distance et morgue de grand propriétaire. Au lieu des champs de coton à perte de vue, il a misé sur les bois et les bêtes. Veuf très jeune, convoité mais indifférent , il se joue des conventions attendues et mène ses affaires comme bon lui plait. Quitte à s’égarer dans les marais pour le plaisir de jouer avec les nerfs des bouilleurs de cru clandestins … L’escapade lui vaut de rencontrer Margaret Carmigaël, et de flancher pour la douceur de sa nuque courbée sur le coin du lavoir. Margaret est une freeblack de New church, autant dire la pire engeance noire de ce coin du sud. Elle est la descendante des esclaves affranchis d’un bout de papier à la fin de la guerre d’indépendance par la bonne volonté d’un capitaine. Rien ne laisse soupçonner que son père était blanc, elle est noire de peau, misérable, perdue dans une famille innombrable, bruyante, calfeutrée dans les marais.  William l’embauche comme gouvernante.

Dans la grande maison, commence alors l’histoire de sangs qui n’auraient pas dû se mêler, d’enfants blancs qui savaient qu’ils étaient noirs et d’une mère qui refusa toute tendresse pour leur donner un avenir. Le secret de William fait des ricochets jusqu’à entrainer le cycle de la vengeance …

C’est une longue et belle histoire dont le charme opère dès les premières phrases, dont les méandres vont au rythme des marais, suivent les odeurs et les bruits d’une maison assoupie, gardienne des silences de la famille, du cycle des naissances et des morts. Il aurait pu en être toujours ainsi … ragots, réputation, ségrégation, métissage, ambition politique, font voler le respect des apparences, dévaste le déroulé de la vie bien rangée dans les cases d’Abigaël en prise avec les démons que son grand père avait bien cachés. Prise dans le corset des races et des souvenirs, une femme beaucoup plus forte que sa blondeur de petite fille riche ne pouvait le laisser croire, contemple de sa véranda sa future vengeance …

Un roman « vintage » estampillé « sudiste » à découvrir, pour la richesse des personnages et les entrelacs d’une intrigue qui se déploie avec force et lenteur, pour aussi l’engagement de l’autrice qui eu à partir avec le Ku Klux Klan dont les fondements politiques sont ici clairement déboutés.

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10 commentaires sur “Les gardiens de la maison, Shirley Ann Gran

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    1. J’ai trouvé que c’est un roman qui dépasse cette seule thématique, en l’englobant dans un paysage mental dans lequel le racisme est tellement la norme qu’il n’est même pas à justifier. L’autrice arrive à faire de cette « évidence » un des rouages de son intrigue. Très fort.

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    1. Oui, dans la collection Vintage de Belfond. Il a été publié en 1965 et « oublié » ensuite. Il vaut vraiment la peine d’être redécouvert et j’aimerais bien lire d’autres titres de cette autrice « sudiste » qui déconstruit si bien les mécanismes raciaux de cette région, tout en en restituant les paysages singuliers.

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    1. J’ai été lire du coup ta note sur Cotton County, il y a effectivement beaucoup de points communs entre les deux titres. Et en tout cas, tu me donnes envie de découvrir ce titre d’Eleanor Henderson. Mais 720 pages, ça va attendre un peu …

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