Les naufragés du Wager, David Grann

1600px-Vernet_Claude_Joseph_-_The_Shipwreck_-_1772C’est une très vincible Armada qui pris le départ de Portsmouth en 1740. Cinq bâtiments commandés par le Georges Anson qui ont pour mission de pourchasser et détruire les bâtiments espagnols dans le Pacifique, et de mettre la main, si possible, sur un fabuleux galion. C’est une drôle de guerre, que celle de ‘ »l’oreillle de Jenkins », une guerre qui sent le prétexte politique pour établir la toute puissance britannique sur les mers, qui n’en est pour l’instant qu’à ses prémices … L’origine de cette entreprise d’envergure est assez confuse, la mission confiée à Anson est secrète et cinq navires, 2000 hommes lancés dans l’inconnu de la poursuite au travers de l’Atlantique puis du Pacifique et jusqu’au Philippines, c’est à la fois une épine dans le pied de la toute puissante Espagne, et des conjonctures plus qu’ hasardeuses …

Si les navires sont paradoxalement plutôt rafistolés que vraiment préparés, le commandement parait assuré. Anson est un capitaine froid et distant mais il a toutes les qualités requises pour gouverner en mer. Les officiers ont tous une solide réputation d’hommes compétents. Le premier portrait est celui de Davd Cheap qui deviendra, en cours de traversée, le capitaine du Wagner. Homme de raison, il connait la mer mais n’a jusqu’à connu que des postes de second et il est taraudé par l’orgueil, persuadé que son destin est d’être un « aigle des mers ». Pur produit de la Navy, sa tendance à se prendre pour le seul maitre à bord n’est sans doute pas pour rien dans le destin du navire et des marins.

Mais encore faut-il en trouver des hommes pour monter à bord ! Et l’auteur, avant même de raconter l’odyssée maritime  du Wager, relate celle du recrutement des marins. En ces temps, l’Angleterre peine à trouver des volontaires ( et vu ce qui va être dit des conditions de vie en mer par la suite, on ne se demandera pas pourquoi). La marine attrape large, éclopés, invalides sont même montés à bord sur des brancards, d’autres sont littéralement enlevés et enfermés dans des cachots flottants en attendant l’embarquement. Et avec ces hommes sont embarqués leurs poux, si bien qu’à peine les cinq bâtiments au large, une épidémie de choléra se déclare et les premiers corps sont jetés à la mer ( après, il y en aura tellement, qu’aucune cérémonie ne les accompagnera.)

Le temps d’arriver au Cap Horn, ( avec une épidémie de scorbut), David Gran dresse le portrait de deux autres marins du Wagner, le jeune John Byron ( oui, le grand père de l’autre), enseigne de vaisseau de 16 ans, nourri du romantisme des récits de voyage et le canonnier Bulkeley, qui est lui un homme du peuple et un marin aguerri. Si son poste est d’importance ( il responsable de l’ensemble de l’armement de ces navires qui sont quand même partis faire la guerre), son rang hiérarchique le soumet à l’obéissance aux ordres du capitaine Cheap. Homme de caractère, compétent, son journal de bord pèsera lourd, à sa charge, comme à sa décharge.

En effet, à peine le Cap Horn passé, ( et encore, les marins n’en sont pas si certains) que le Wagner, distancié par les autres navires et dans un piteux état, s’échoue sur une île qui n’a rien à voir avec le paradis des révoltés du Bounty. Battue par les flots, aucun bananier ni vahinée en vue. Mais un groupe de survivants affamés et rongés par les divisions et d’une capacité de résistance que si le récit n’était estampillé « non fiction », franchement, je n’y aurais pas cru une seconde.

On frôle l’inimaginable dans ce récit de survie car, le truc complément fou est que deux groupes vont réussir à revenir en Angleterre sur des rafiots de très mauvaise fortune, dans des conditions dantesques, en passant par le Brésil, et pour certains, la prison les guette à leur retour. C’est le cas du premier groupe, celui du canonnier. En 1743, il débarque à Porsmouth et est aussitôt sommé de se justifier,  de démontrer qu’ils ne sont pas des mutins.  Le capitaine Cheap, Lazare sauvé des eaux, réapparait quant à lui en 1746, avec John Byron … Mais, des années après leur départ, ma foi, la guerre de l’oreille n’est plus qu’un vague souvenir, et on ne sait trop que faire de ces versions contradictoires qui s’évanouissent dans les brumes de l’histoire, maintenant que l’Angleterre a assis sa puissance maritime … Pas question de tâcher l’honneur de la Navy.

L’auteur fait de sa documentation très présente dans l’écriture par nombre de citations de sources variées, un récit passionnant, une histoire d’égo et d’ambitions qui se lit comme un roman, un roman d’aventures tellement hallucinantes que Robinson et son sauvage sont des mauviettes à côté des marins du Wagner. Cependant, dans les deux cas, c’est bien une histoire d’impérialisme qui gagne.

Une participation au book trip en mer

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26 commentaires sur “Les naufragés du Wager, David Grann

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    1. Il est beaucoup question de « La note américaine » du même auteur. Je ne le connaissais pas du tout pour ma part, mais comme les aventures en mer, c’est vraiment mon truc, je suis ravie et d’avoir fait naufrage et d’être de retour sur la terre ferme, et d’avoir découvert un nouvel auteur !

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  1. quel plaisir de retrouver ce livre sur ton blog, grâce à ton billet très complet j’ai retrouvé mes sensations de lecture. Vraiment merci.

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  2. Je reviens de vacances et je n’ai pas beaucoup lu. Je vais voir ce que toi, tu as lu. Celui-ci, je ne pense pas qu’il me plairait…

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  3. Oui, c’est surprenant et passionnant à la fois, lorsqu’il raconte ces rafistolages de navires ou le recrutement de l’équipage. Mais tout est passionnant dans ce roman !

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  4. David Grann est vraiment très fort. Je suis bluffée par son talent pour rendre vivantes toutes les archives qu’il a consultées. C’est souvent loin d’être facile de s’extraire de ce type de documents. Or, son essai est aussi palpitant qu’un roman d’aventures. J’ai adoré ce livre et celui d’avant, « La note américaine » (une fiction, cette fois, mais qui s’inspire d’un fait réel).

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    1. J’ai effectivement beaucoup aimé la manière dont sont insérées les citations des archives, même si au départ, ce rappel constant du réel m’a un peu gênée, j’avais envie de partir tout de suite à l’aventure ! Et puis, rapidement, j’ai vraiment trouvé de l’intérêt pour la dimension historique.

      Une chose est certaine, je lirai « La note américaine ».

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    1. Je n’ai pas pensé à faire un appel à LC pour le book trip, ce titre ayant déjà été beaucoup lu, et oui, c’est un formidable bouquin ! Le capitaine Cheap, et les autres aussi, sont des personnages de roman …

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      1. Vu la longueur de mes avis, ce n’est clairement pas moi qui te ferai un tel reproche 🙂 Et je t’avoue que j’aime les avis développés comme les tiens. Cela permet vraiment de se faire une opinion et de savoir si oui ou non, un livre peut nous tenter.

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  5. C’est toujours un plaisir pour moi de lire un billet sur le Wager. Ça me rappelle ma propre lecture dont la mémoire est encore vive et d’ailleurs, j’espère toujours tomber sur un récit aussi passionnant, si ce n’est plus (mais ça me paraît impossible^^), dans le cadre de ce book trip.

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    1. C’est vrai qu’après une telle lecture, on a envie de repartir aussitôt. Jusqu’ici, j’avais plutôt fait des ronds dans l’eau. Le prochain titre me ramènera en haute mer, Et ensuite, je m’inspirerai des lectures du mois si tu refais un bilan.

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  6. Bonjour Athalie

    Je l’avais lu à l’époque de sa sortie (dasola aussi), il me reste bien d’autres livres « de naufrage » à lire, notamment à propos du Batavia… Et j’attends avec un brin de scepticisme que se concrétise le projet d’adaptation au cinéma par Scorsese!

    (s) ta d loi du cine

    PS: et j’en profite pour signaler l’ouverture des inscriptions pour le challenge Les épais de l’été 2024 (650 pages minimum) et pour le challenge Les Pavés de l’été 2024 (500 pages).

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