Pour mourir le monde, Yan Lespoux

Combat_du_TageOn embarque dans ce roman par une nuit de naufrage, la caraque portugaise Sao Bartolomeum a échoué sa carcasse sur une plage de Médoc, en plein mois de janvier 1627. Elle déverse dans les vagues ballots de coton, tonneaux, débris du mat, du pont, de précieux grains de poivre qui ne valent plus rien, des cadavres et quelques survivants des 500 passagers. Vraiment très peu. Sur la plage, d’étranges créatures velues s’agitent pour éventuellement les achever, mais surtout pour piller tout ce que le navire dégorge. De ce tableau baroque, tout en clair obscur, mêlant bourrasques et naufrageurs, émerge Francisco Texeira : renégat, voleur, soldat des Indes, criminel depuis son premier embarquement forcé par la misère à parcourir le monde pour ne pas mourir. Ce que l’on va comprendre rapidement est qu’il est toujours au mauvais endroit, au mauvais moment. mais là, sur cette plage, dans sa rencontre avec Anna, il y a peut-être une planche de salut. Un peu pourrie quand même.

Par un large détour temporel et géographique, le roman finira par boucler la boucle et revenir sur cette plage, en spirales, de navires en déroute en d’autres tempêtes, en expéditions dantesques sur les terres colonisées de l’Inde, du Brésil que s’arrachent les grandes puissances européennes. Le Portugal est en déclin, dévoré par la toute puissance espagnole, elle même confrontée aux redoutables mercenaires hollandais, c’est une fresque historique très documentée, et une épopée des va nus pieds. Tous les personnages sont des fétus de paille malmenés par des vents contraires sur lesquels ils n’ont aucune prise, les invisibles des flottes conquérantes qui tentent de garder la tête hors de l’eau.

Fernando a fait la connaissance de son alter égo, Siméo lors de son premier voyage vers l’Inde, sur le Sao Jutao. Le commandant est une des figures de proue du roman, Don Manuel de Meneses, comme le phénix, il a le don de ressurgir de ses cendres. Susceptible, irracisible, il est mordu de l’honneur du Portugal, beaucoup plus que de la vie de ses hommes et des passagers de son navire qu’il entraine dans le premier combat naval tout de bruit et de fureur. Les hommes y meurent à foison, coupés en deux, écrasés, emportés par des boulets de hasard. Les fumées, les flammes, les hurlements, laissent de marbre la longue silhouette de l’aristocrate des mers, toujours drapé dans son orgueil et dans son long manteau noir. Cependant, pour le grand malheur de Fernando, comme l’empereur du conte, Maneses n’aime pas qu’on le voit nu.

Sur un autre continent, bien plus tard, à Sao paulo, Meneses, alors commandant en chef de la flotte portugaise venue récupérer sa colonie brésilienne des mains des hollandais, embarque un autre binôme bigarré, Diogo et Ignacio. Eux lui ont sauvés la vie, et s’attachent à sa longue et triste figure. Le premier a vu ses parents brûler lors de la prise de la ville par les Hollandais, et le second est un indien Tupinamba recueilli par les Jésuites, les deux embarquent pour l’ancien monde et les roulis de l’histoire.

Seule, Anna attend sur les côtes du Médoc que le destin lui offre une porte de sortie du monde des marais où son oncle Louis règne en despote pouilleux. Contre point immobile des aventures maritimes, et pourtant entre les pins et les baïnes boueuse, se jouent aussi des rapports de dominations et de pouvoir. Louis gouverne par la peur un monde grossier, malodorant et figé dans la fange, il organise les pillages des navires et profite de la peur des vageants et des costejaires qui en tirent un bric à brac plus ou moins précieux. Après avoir protégé sa nièce, il s’en est fait une ennemie à sa taille. Anna, à la marge de la loi, est animée, à l’instard de Fernando de la violence des survivants.

L’auteur tient bon la barre des des aller retour narratifs, la langue est classique, précise, parfois technique et n’accorde aucun souffle lyrique à la violence. Les aventures se succèdent en cascade, les naufrages sont grandioses, les conflits d’intérêt mercantiles sont petitement humains. Les personnages secondaires foisonnent, sans grandeur et avec peu de morale, ils sont emportés par les vagues de l’histoire, ne pilotent qu’un moment un bout de destin. Les deux binômes masculins et Anna nagent dans le courant, jouent avec la fatalité qui leur est assignée,  picaros dérisoires et pourtant, ils ont un certain panache romanesque. Et le roman se sort plutôt bien de la succession de récits de naufrage et de combats qui jalonnent leur route.  Ils m’ont parfois donné le tournis ainsi que la pléthore de détails techniques m’a quelque peu submergée, mais la lecture est immersive malgré tout.

Une participation au book trip en mer

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24 commentaires sur “Pour mourir le monde, Yan Lespoux

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  1. Pour ma part, j’ai été totalement emportée par l’intrigue et ses moults rebondissements mais je suis bon public lorsqu’il s’agit d’aventures

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    1. Ce n’est pas la tonalité tragique qui domine, même si il y a pas de pertes sur les bateaux, c’est un roman plutôt épique avec des personnages haut en couleur. Beaucoup de personnages, il est vrai, mais on s’y retrouve quand même très bien.

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    1. Effectivement, il y a un « pour » dans le titre, en plus c’est une citation qui éclaire la destinée des personnages …

      Je ne sais plus quel avis m’a tentée en premier, mais il est vrai que depuis sa sortie, je n’en ai pas vu passer de négatifs. Et si tu n’as pas lu l’auteur, ses nouvelles sont aussi très bien.

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  2. « la langue est classique, précise, parfois technique et n’accorde aucun souffle lyrique à la violence » = j’avais un peu hésité à le mettre en coup de cœur pour cette raison, j’aurais peut-être aimé par moments un peu plus de lyrisme, justement. Mais j’ai tout de même basculé vers le « oui », parce que c’est parfaitement construit, comme tu dis immersif, et j’ai apprécié la parité dans le traitement des personnages. Et puis quelle aventure, quand même !

    Et Lespoux montre là qu’il a plusieurs cordes à son arc : entre « Presqu’îles » et ce titre, quelle diversité !

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    1. Je ne l’ai pas mis en coup de coeur, mais de peu, je n’ai pas fait la bascule comme toi ⁻^-^ . L’aspect très technique n’est pourtant pas très gênant, il faut croire que je deviens particulièrement exigeante parce que je l’ai quand même dévoré ce titre.

      Par contre, les nouvelles de Presqu’iles sont un coup de coeur sans restriction, peut-être parce que la langue, justement, y est un peu plus inventive.

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    1. C’est vrai qu’il n’y a pas que la mer dans cette histoire mais aussi la forêt ! Moi, j’ai bien aimé ces Landes crépusculaires … et ses habitants « rustiques » aussi exotiques historiquement que les marins.

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    1. C’est parce que l’on est assez nombreux à participer au Book trip en mer, je ne lis pas autant sur ce thème normalement. Mais, là, j’ai vraiment pris goût aux voyages. La prochaine participation sera cependant plus sociale.

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  3. Ah oui ça, pour être une lecture immersive, ça l’est ! J’ai été transportée par l’aventure et j’ai beaucoup aimé la plume de Lespoux justement pour son côté non démonstratif et pas moins précise et fluide pour autant. Un grand sens de la narration aussi. Mais une propension à la description qui m’a fait tiquer par moment, sans vraiment me déranger toutefois. Bref, un auteur que je relirais bien volontiers.:)

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    1. Alors, tu peux tenter ses nouvelles qui sont dans un registre et un rythme plutôt différent, mais immersive aussi dans une petite communauté du Médoc. Contemporaines et sociales, ces petites histoires sont « dramatiquement drôles » …

      Je ne peux pas mettre le lien de cette note sur ton site pour le moment, ( pas d’accès à mon ordi perso pour quelques jours) mais peut-être que tu l’as pris ?

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  4. Tiens, mais je ne connaissais pas ce Book Trip en Mer! Tu me donnes envie (il faut dire que je résiste très mal à l’appel des challenges) Je vais bien trouver un livre marin quelque part.

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