Rose Royal, la retraite du juge Wagner, Nicolas Mathieu

3f9b04935059e48b2b6c0ab6df9e5cda_286415Rose, on pourrait la connaître, elle a la classe de  la cinquantaine solitaire, de très belles jambes qu’elle sait croiser en se perchant sur les hauts tabourets de son bar de prédilection, un lieu un peu miteux, où trainent quelques habitués, un long comptoir et du temps à perdre là, entre deux conversations qui meublent le silence. Rose connait la vie, deux enfants, un divorce sans histoires, des aventures ensuite, dont une un peu plus longue mais qui lui a laissé le goût amer de la violence. Depuis, elle s’est acheté un revolver, un petit calibre qu’elle sort parfois de son sac pour se voir dans le miroir du four de la cuisine, l’arme à la main, en tueuse fatale. Elle a tenté les sites de rencontres, y a croisé des hommes falots, à la conversation plate comme des trottoirs, des banalités d’existences, leur boulot, leur chef, leur divorce, mais qui s’arrogeaient quand même le droit de la considérer comme encore baisable. Rose n’a pas l’intention d’être une propriété, ni une proie, le jeu de cette séduction là, elle connaît.  Cependant, mis à part quelques frénésies d’achats de crèmes réparatrices d’âge et de velléités de ne boire que de l’eau minérale, Rose se sent bien, surtout dans ce bar où la rejoint Marie Jeanne, qui y coiffe presque gratis en enquillant des pastis.

Ce soir là, au Royal, Rose se sert pour la première fois du son arme, pour mettre fin à l’agonie d’une chienne accidentée et à la tristesse de son maitre, Luc. Le prédateur, c’est lui, cet homme au regard si doux pour son chien. Il entre dans la vie de Rose à pas feutrés. A l’aise financièrement, il l’enrobe petit à petit d’un confort matériel dont elle n’a pas l’habitude, d’attentions, une sorte de Dolce vita qui se mue petit à petit en cage dorée. Rose s’y love, s’y coince puis, acharnée à exister,  insoumise à sa manière, elle voudra avoir le mot de la fin, ne pas se laisser enfermer dans les petites humiliations, le prix à payer pour une dernière histoire d’amour. Une belle figure, royale, à sa façon paradoxale, sans discours, l’auteur retrace les complexités d’une indépendance en prise avec le jeu de la séduction et ses tentations à la soumission.

Si Rose est un personnage tout en tension, le juge, lui, a atteint une forme d’apathie volontaire. Ecarté du Palais, du 36, il regrette la frénésie des heures sup, des interrogatoires, des sandwichs avalés à la va vite. Il boit trop, fume trop, ironiquement lucide, désabusé, dépassé, il traine sa silhouette lourde vers un réveillon de Noël. Sur la route, il croise celle de deux petits voyous sans envergure, Johann et Trollo. Des deux, Trollo est la brute, Johann, un peu moins stupide touche le juge qui baisse un peu la garde, le prend plus ou moins sous son aile cassée. Mais le jeune homme, ivre d’ennui, se prend pour un dur et pour faire briller les yeux de Virginia, se joue de celui qui aurait pu lui donner une dernière chance.

Dans ces deux récits, la violence est inscrite en sourdine, nulle besoin de la dire cette violence ordinaire et sourde, elle est au coeur de l’écriture. Comme dans les autres romans de l’auteur, on est dans le noir du social, avec ces deux personnages, cabossés, trimballés dans les aléas des petits échecs, échoués sur le bord, mais pas encore vaincus. Une porte de sortie, un miracle hypothétique, et puis, ça leur claque à la figure, l’espoir est poignant.

Rose, je l’avoue, j’aurais bien aimé la revoir sur son tabouret de bar, la dragée de la séduction encore haute, victorieuse.

23 commentaires sur “Rose Royal, la retraite du juge Wagner, Nicolas Mathieu

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    1. J’ai mis nouvelles au lieu de novellas …. Je vais rectifier même cela n’a pas vraiment de conséquence sur la lecture. Et oui, Nicolas Mathieu a créé un magnifique personnage, Rose, elle est poignante. Mais j’ai bien aimé le juge aussi.

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    1. Je vois que comme moi, la noirceur lucide et incisive de Nicolas Mathieu te touche, j’ai juste aussi Connemara qui n’apparait pas dans ton index, pas encore ?

      Moi aussi, ça m’arrive d’avoir envie de relire des titres à la suite d’une note (je ne le fais pas, je n’aime pas relire). Par exemple pour chroniques d’une station service ( la dernière publication d’Ingannmic …), mais tu as dû la voir.

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      1. Connemara, je l’ai lu et aimé aussi, quoique peut-être un soupçon moins que les autres, mais pas commenté. (et je ne le ferai pas)
        Moins non plus, je n’aime pas relire, mais je garde les livres que j’ai aimés au cas où… 😉

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    1. Visiblement, d’après ton blog, Connemara fut ta seule tentative avec cet auteur … Ce n’est pas celui que j’ai préféré, mais je l’avais quand même apprécié. Et tu as raison, avec une novella, tu verras tout de suite et sans grand temps de lecture si cet auteur te convient. Parce que le texte est court mais vraiment caractéristique de son écriture et de ses personnages, toujours sur un fil.

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  1. Je n’ai pas eu envie d’y revenir en effet, mais comme tu le dis, ce ne serait pas une énorme perte de temps vu le format. Et il plaît tellement que je me dis que je passe peut-être à côté de quelque chose à cause d’un seul roman.

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  2. Il y a une sorte de jeu de miroirs entre ces deux novellas : un portrait de femme face à celui d’un homme, les deux personnages étant arrivés à la fin de quelque chose ?

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    1. Il y a des points communs entre les deux personnages, notamment l’idée d’une dernière rencontre qui a tout changé, par hasard …. Mais le juge n’a pas le charme de Rose, il est moins complexe qu’elle. Il a même un côté un peu Simenon, celui des romans autres que Maigret, un côté suranné.

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  3. C’est beau, tout de même, de faire un coup de cœur de chaque lecture d’un même auteur… j’avais beaucoup aimé moi aussi ces deux textes avec, oui, une petite préférence pour le personnage de Rose, avec ses jambes sublimes et son refus de se faire marcher dessus.. il me reste à lire Connemara..

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    1. A chaque fois ça marche effectivement avec Nicolas Mathieu ! Je ne lirai cependant pas le dernier qui est très différent visiblement, intime et autobiographique.

      Et oui, Rose est un personnage magnifique ! Prise dans ses contradictions, une femme forte et perdue. Elle a quelque d’une star hollywoodienne en noir et blanc.

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  4. Je n’ai tenté que Connemara avec cet auteur et j’ai abandonné. Je m’ennuyais, impossible d’accrocher aux personnages. Je ne suis pas encore prête à refaire un essai.

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  5. Je n’avais pas compris au départ qu’il s’agissait de deux récits distincts, donc j’étais là, « mais d’où sort ce juge dans la vie de Rose ?? », haha ! Sinon, je n’ai toujours pas lu cet auteur. Je ne suis pas encore assez tentée pour me lancer. Peut-être commencer par ces textes courts.

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    1. Remarque, peut-être que si Rose avait rencontré le juge plutôt que Luc, ils auraient pu faire un sacré couple ! Pas certaine quand même que ce se serait mieux fini …

      Et évidemment, je ne peux que te conseiller la découverte de cet auteur, par contre, il faut aimer le noir !

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  6. Je l’ai noté pour le mois de janvier (les lectures de textes courts organisées par Je lis je blogue) et après avoir lu ton billet, je me réjouis encore plus !
    J’ai lu Aux animaux la guerre du même auteur et j’ai beaucoup aimé.

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  7. j’avais adoré ces nouvelles… j’ai de toute façon tout aimé de cet auteur jusqu’à son dernier bouquin qui m’a donné envie de me pendre (je me suis ressaisie, fort heureusement ^^)

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