Terrasses, Laurent Gaudé

téléchargement (1)Petit un, je me suis jurée d’enlever de ma bibliothèque tous les livres possibles, ceux que je n’ai pas aimés, ceux que je ne relirai jamais, ceux jaunis et cassants que je trimbale depuis des décennies en soupirant. ( et l’entreprise est en cours et ce n’est même pas déchirant, au contraire !) Petit  deux, je me suis jurée que plus jamais je n’achèterai de livres sur un coup de tête. Petit trois, je ne lis plus du Laurent Gaudé depuis un moment. Le lyrisme de sa prose m’a lassée, ça m’a passé , le goût du flamboyant. Et puis, dans la voiture, j’entends une bribe d’une émission littéraire alors que j’allais déposer deux beaux cartons plein de mon dégraissage dans une librairie qui organise une braderie. Et je suis revenue avec le dernier Gaudé, et je l’ai lu dans la foulée. Et cette lecture fut consternante.

Point de lyrisme flamboyant, juste du larmoyant. Dans l’ordre chronologique, l’auteur évoque les attentats du vendredi 13, des terrasses au Bataclan, de la fête à la fosse sanglante, les corps qui tombent les uns sur les autres, l’assaut, les secours, leur impuissance, l’angoisse d’une mère, le désespoir d’un père, un survivant qui accompagne une jeune femme qui meurt. Les voix des victimes se mêlent, les deux femmes qui se désiraient, s’étaient promises l’une à l’autre ce soir là, les deux sœurs jumelles qui fêtaient leur trente ans et sont parties ensemble, à jamais unies. L’auteur ressasse l’inconscience dans laquelle les victimes ont vécu leurs derniers instants de vie, invoque le mauvais dieu du hasard qui a trié les survivants. Le hasard en dieu de la mort, quelle image littéraire incongrue dans cette réalité juste terrifiante !  Après l’attentat, il met en voix celles des morts qui dans les murs du Bataclan attendraient le retour des vivants, alors que les équipes de nettoyage tentent d’enlever l’odeur du sang, elle traînent, elles rôdent encore. Et les morts danseront avec les vivants. Une théâtralité creuse qui m’a presque écœurée.

Moi, je me dis que faire de cette soirée là une communion avant l’enfer, un moment de douceur et de joie, une idéalisation à postériori, frôle l’indécence et qu’il n’est absolument pas nécessaire de faire de Paris une fête pour que l’horreur reste l’horreur. Créer ce contraste est inutile, c’était un jour ordinaire, pulvérisé par une réalité politique, concrète, compréhensible, même si la réalité est difficilement acceptable, ce n’est pas en imaginant les victimes heureuses qu’on leur rend hommage, sur ces terrasses, il y avait bien des gens qui n’étaient pas heureux, quelle importance ? Quel intérêt ?

Le texte se termine en nous invitant à continuer à fréquenter les terrasses pour nous opposer à la barbarie, en mémoire du sang des victimes, qu’un verre de vin brandi au ciel pour célébrer la vie et nos amis seront nos plus beaux gestes de victoire. Ce romantisme si dérisoire m’a choqué comme ce jeu de mots en forme de slogan  » Nous serons tristes longtemps, mais pas terrifiés. Pas terrassés ». Ben si, on a été terrassés, mis à terre. Nul verre de vin ne peut être mis en balance avec une démarche terroriste, avec la peine infinie des survivants, si justement respectée dans V 13.

Un avis, très différent du mien, pour équilibrer, celui de Matatoune

30 commentaires sur “Terrasses, Laurent Gaudé

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  1. En voilà un qui va disparaître aussi sec de tes étagères ! Je me reconnais assez dans ton opération de tri, j’en fais une au moins tous les deux ans, c’est libérateur (de place mais aussi d’esprit !). Je venais de noter V13, repéré sur un autre blog cette semaine. Celui-ci n’est visiblement pas pour moi !

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    1. Il est déjà sur la pile qui va rejoindre la boite à lire (la nouvelle pile, dans le nouveau carton …) Et effectivement, je ne le pensais pas mais, tu as raison, ce tri fait du bien en plus de la place, (il faut dire que je gardais beaucoup, mais alors vraiment beaucoup de livres, alignés sur trois murs de mon bureau, ils auraient fini par m’étouffer !)

      Je te conseille vraiment V 13, qui est plus éprouvant parce qu’il tente de coller au réel, Carrère garde un angle journalistique, qui n’empêche pas une empathie intelligente.

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  2. Tu me donnes envie de faire de la place parmi mes livres, mais pas de poursuivre avec Laurent Gaudé. J’ai aimé certains de ses romans, mais ne le « fréquente » plus depuis quelques temps.

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    1. Pour le tri, chez moi, cela devenait vraiment nécessaire ! Et cela prend du temps mais je le prends tranquillou ( bon, des travaux sont prévus en juin, il me reste un mois pour clore mon tri.)

      J’ai beaucoup aimé les premiers Gaudé, j’ai commencé à caler avec Eldorado, avec la même gêne que dans celui ci, en ce qui concerne le rapport à un réel sordide transfiguré … Je pense que je m’y reviendrai plus.

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  3. J’ai eu ce tout petit livre en mains tout à l’heure et, vu le prix, pour si peu de lecture, je l’ai laissé là et, en te lisant, j’en suis bien content !

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    1. Tout d’abord, merci pour le lien !

      Je n’essayerai pas de convaincre. Nos ressentis font la richesse de cette blogosphère que nous aimons fréquenté.

      Alléger nos étagères, est une très bonne chose ! Depuis mon dernier déménagement, je ne conserve que les beaux livres achetés. Les autres, je les revends ou je les mets dans les boîtes à lire de mon quartier. Je ne relis que rarement ! Néanmoins,une pièce est réservée à ma passion et il y a encore de la place !

      Pour les achats coups de cœur, autant penser supprimer les bouteilles à un alcoolique ! 😃

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      1. C’est pour cela que j’ai mis ton lien, mon avis étant très tranché, et le tien aussi, en sens inverse !

        Moi, ce sont des projets de travaux qui m’ont poussé au tri, mais maintenant que je suis lancée, je trie même encore un peu plus que nécessaire, il faut dire que je gardais des livres d’analyses littéraires datant de mes années d’études ( plus de trente ans …) en me disant que cela pouvait servir !

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  4. J’allais te dire V13, bon c’est fait!

    Quant à Laurent Gaudé, jamais lu, je craignais l’excès dont tu te plains (mais je n’en ai pas sur mes étagères)

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    1. J’avais foncé sur V 13 à sa sortie ( comme quoi, des fois les achats compulsifs ne sont pas déceptifs) et je trouve que c’est un livre, un peu comme Triste tigre de Neige Sinno, qui coûtent à la lecture, mais dont on ressort essorés utilement.

      Pour Gaudé, j’ai bien aimé son écriture qui transfigure l’épopée du Soleil des Scorta et La mort du roi Tsongor, les sujets « mythologiques » lui convenaient mieux, je trouve.

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  5. Petit un: ma bibliothèque contient maintenant que mon nec plus ultra: ces livres que je compte relire ou prêter, qui ont eu une grande importance dans mon parcours de vie. Je me sens plus légère depuis ce délestage (et c’est plus simple quand un déménagement s’impose!). Petit deux: comme toi, je n’achète plus de livres sur un coup de tête. Surtout au prix que sont maintenant les livres. Il me faut, au minimum lire un extrait, aussi court soit-il. Déjà, ça me permet d’éliminer plusieurs titres.

    Quand à Laurent Gaudé, je me suis arrêté aux premiers chapitres d’Eldorado. Entre lui et moi, la rencontre ne s’est pas très bien passée. Après avoir lu tes mots, tu enfonces le clou que je ne lirai jamais ce roman, ni Gaudé.

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    1. Voilà, je vise moi aussi le nec plus ultra ! Mais c’est encore un peu hypocrite, parce que je ne relis jamais ! En plus en triant, je me rends compte qu’il me manque justement des titres qui ont compté et que j’ai dû prêter (mais à qui ?)et hier, j’étais en train de me dire que j’allais les racheter ( d’occasion) pour atteindre ma bibliothèque parfaite ^-^

      Eldorado est le titre qui m’a éloigné de Gaudé, avant j’aimais bien, voire beaucoup … En tout cas, c’est sûr, je m’en passerai très bien maintenant, quelque soit les critiques positives comme celle que j’ai entendue à la librairie francophone.

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      1. Gaudé, j’ai essayé et abandonné ! Quant au tri des livres, il a été obligatoire pour moi quand on diminue de deux tiers les m2 habitables.

        c’est marrant tu pars pour te débarrasser entre autres des Gaudé et tu en reprends un ! Il devait être juste en face bien placé 😃

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      2. Je crois que j’ai presque terminé, là. Des trois murs occupés par les rayonnages, je suis passée à deux. Je vais pouvoir « réhabiter » ma pièce de bureau. ( et arrêter de remplir les boites à lire qui croisent mon chemin). Il y a peu de Gaudé qui y sont partis parce j’en avais peu, en fait, les deux premiers, que j’avais bien aimé. Eldorado, qui m’avait déçue était un emprunt …
        Et oui, il était bien placé dans la librairie, mais c’est surtout le bout d’émission de radio écoutée sur le trajet qui m’a donné envie ! Mais, je me le suis jurée, plus jamais !

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  6. Je suis lancée dans la même opération que toi. Ça se fait lentement, mais ça se fait. Je n’ai jamais lu Laurent Gaudé, j’ai l’impression depuis le début qu’il n’est pas fait pour moi. Ceci, je vais bientôt à une rencontre avec lui, après ton billet, je suis curieuse de savoir ce qu’il dit de son livre.

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    1. Oui, c’est assez long, quand je pense avoir trié toute une étagère, je réalise quelque temps après qu’il y a d’autres titres qui peuvent encore en sortir ! Mais j’ai encore un mois pour « aller à l’os » sans regrets.

      Il y a des vidéos de l’auteur qui présente son livre, mais je ne vais pas les entendre, je me suis déjà assez énervée toute seule en le lisant … Mais je te souhaite une belle rencontre, tu en feras peut-être une note ?

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    1. Je pense qu’on peut le lire autrement, c’est le cas de Matatoune, d’ailleurs, qui souligne au contraire de moi, l’aspect dynamique du récit polyphonique. Moi, c’est le parti pris du « Paris est une fête » qui m’a été insupportable ( mais ça m’avait déjà agacée lors des jours qui avaient suivis les attentats) Sans doute parce je connais une personne qui était sur les lieux, et sans être sur les terrasses mitraillées, elle a tellement été marquée par cette nuit, que j’ai du mal à accepter ce prisme.

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  7. tout à fait d’accord avec toi Athalie et encore : je ne l’ai même pas terminé… Les sept filles du chasseurs d’ours m’ayant fait de l’œil sur ma table de nuit 😉

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    1. Evidemment, j’ai bien pensé à toi en le lisant … Et je ne suis pas étonnée que nous soyons d’accord. Et tu as radicalement changé de sujet ( moi aussi d’ailleurs !)

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  8. Ahaha ton premier paragraphe m’a bien fait rire. Tu étais pleine de bonnes résolutions et en route pour t’y tenir, et paf, tu repars avec un Laurent Gaudé, décevant en plus. ^^ Je n’ai jamais lu cet auteur mais j’avoue qu’il ne m’a jamais tentée.

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  9. Je ne me suis pas précipitée car j’ai assez peu d’affinités avec l’écriture de Laurent Gaudé qui compte pourtant de nombreux fans ; je retenterai sans doute à l’avenir mais pas sur ce sujet, et ce que je lis ici ne va pas m’inciter à changer mes plans.

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    1. Effectivement, c’est un auteur qui plait beaucoup, mais pour ce titre, je ne suis pas certaine qu’il trouve beaucoup d’échos. En tout cas, je n’ai pas trouvé beaucoup de notes sur la blogo que je fréquente, en tout cas, mis à part Matatoune. Le sujet peut-être, décourage ?

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  10. ouh laaaa, j’adore Gaudé et j’ai entendu bien des éloges au sujet de ce titre, tu fous tout en l’air :)) Mais j’avoue ne pas aimer qu’on surfe surla vraie douleur des gens (comme Carrère l’a fait). Le lirai-je ou pas? je ne sais pas…

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    1. Désolée de te gâcher une envie de lecture ! Je savais bien en écrivant cette note que j’allais à l’encontre de pas mal de louanges effectivement., dont la critique que j’ai entendue à la radio qui en vantait le grand humanisme. Mais oui, aussi, j’ai vraiment été énervée par le parti pris de l’auteur , idéaliste et « hors sol » politiquement. Après, il doit être en bibliothèque et il est très court.

      Pour le Carrère V 13, je l’ai lu lentement, mais avec intérêt parce que je trouve qu’au contraire, il ouvre des pistes de réflexion sur le « mécanisme » terroriste.

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  11. Je crois avoir lu deux de ses titres, il y a longtemps, sans accrocher… je n’y suis jamais revenue.

    Et comme tu sais, je suis en pleine période de tri aussi (La Jurée, et quelques autres, ont rejoint la semaine dernière la boîte à livres du quartier..) !

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    1. Et figure toi que maintenant, j’ai du mal à m’arrêter de trier ( enfin, il en reste quand même suffisamment pour couvrir deux des murs de mon bureau ! )

      Pour ce titre de Gaudé, parmi les rares personnes de mon entourage, les avis sont négatifs, en gros pour les mêmes raisons que moi. Je me sens moins seule !

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