Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi

de_capitationsOn est au début de la colonisation algérienne, la colonisation sale, la première, celle qui s’est faite à coups de sabre et d’exils, volontaires, certes, les exils, ce qui n’enlève rien à l’iniquité faite à cette terre.

On suit deux récits, celui d’un soldat et celui d’une femme colon, Caro, mariée à celui qui a voulu partir, Henri, et mère de trois enfants, deux garçons et une fille. Dans l’aventure inconnue, elle a elle-même entraîné sa soeur et son mari, Rosette et Louis. Ils viennent d’Aubervilliers, comme tout le groupe qui achève la traversée et découvre les terres promises, en plein désert du sud algérien. Les discours émouvants et patriotiques sonnent alors comme des glas de ce qu’on leur avait présenté comme un paradis. La terre algérienne ne veut pas d’eux, les habitants leur sont hostiles et c’est escortés de soldats qu’ils s’installent dans une grande précarité.  » Le sang neuf et bouillonnant dont la France a besoin sur ces terres de barbarie », la réalité va le faire couler. On leur a vendu une nouvelle vie, mais, à une journée de marche de Bone, la plus grande ville de la région, il n’y a rien, quelques tentes où ils s’entassent, la pluie, la poussière qui devient boue. La promiscuité, la faim, l’inconfort sont tels que le refrain de Caro « sainte et sainte mère de dieu » devient une rengaine qui se perd dans le froid glacial de ce premier hiver.

Le récit de Caro permet de suivre, ou de découvrir, l’inconscience des colons et la manipulation de la propagande. Même si le sort s’acharne sur eux et les décime à coup d’épidémie et d’attaques des « barbares », on ne peut les voir comme des victimes, car ce que Caro vit comme un exil et une séries d’injustices, est quand même bien une spoliation indigne d’un territoire dont ils n’avaient aucun accueil légitime à attendre. Que leur vie soit rude n’est finalement qu’une réalité que leur inconscience politique n’avait pas pris en compte.

Le récit du soldat est parfois à la limite du soutenable, et pourtant, je ne suis pas une chochotte des tripes. Sans aucune morale, le soldat raconte la pacification, c’est-à-dire les meurtres, viols, pillages, décapitations, sévices, humiliations commis par son bataillon, errant dans l’oued. Ces pouilleux se croient magnifiques, sous le commandement d’un capitaine, sorte de réincarnation d’Ubu, débordant d’une rage patriotique perverse. Galvanisés par la toute puissance que leur donne l’usage des armes et l’impunité garantie, ils massacrent au rythme d’une troupe de fous furieux, satisfaits de leur orgie de sang, fondant sur des villages isolés pour mettre « leurs couilles au chaud et avoir la panse pleine », chantant en chœur  » Courons au carnage, Vive le pillage, Mitraillons, Brulons, saccageons, Et cueillons des galons, Nous colonisons »

Les deux récits ont en commun le même travail sur la langue, syncopée, où la ponctuation est rare, les mots sont crus, voire orduriers, même si ceux de Caro sont plus retenus. La mélopée obtenue est proche d’une poétique du flux, du déversement. L’idéologie colonisatrice est montrée comme un déferlement absurde des bas instincts du côté du soldat, et du côté des colons, l’absurdité de leur présence n’est interrogée que sous l’angle de leur survie. C’est un choix politique et stylistique que l’on peut comprendre mais ce livre est rude à apprécier.

17 commentaires sur “Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi

Ajouter un commentaire

    1. J’étais très enthousiaste suite à des avis vraiment motivants, mais un peu refroidie petit à petit à la lecture … C’est un livre qui se veut dérangeant, fait tout pour, ça fonctionne, il secoue, mais, finalement, il ne m’a pas vraiment touchée.

      J’aime

    1. A mon humble avis, il vaut mieux le lire avec une certaine appétence au départ, au moins pour le thème. Le point de vue est radicalement violent. Cela se justifie par les faits, bien sûr, mais l’écriture surligne cette violence, c’est ce qui a fini par me déranger un peu.

      J’aime

  1. Je suis trop sensible pour lire ça, d’autant que j’ai déjà lu des horreurs perpétrées par les colonisateurs italiens en Éthiopie, et que j’ai vraiment eu du mal à ne pas laisser ces images m’envahir.

    J’aime

    1. J’avoue que j’ai le coeur bien accroché (comme lectrice) et que là, j’ai eu mon compte de scènes de violences, à la limite de l’obscène, malgré la très grande qualité du style et sûrement, la réalité qui a dû l’être, obscène. Je comprends le choix de l’auteur de tout déballer, mais ce n’est pas sans écœurement.

      Aimé par 1 personne

  2. Je suis très tentée, malgré tes bémols. J’ai noté ce titre suite à un passage à la radio de l’auteur, intriguée par le fait qu’il aborde un sujet qui l’est très rarement : je n’ai connaissance d’aucun autre titre évoquant le début de la colonisation de l’Algérie… j’ai lu récemment un autre avis qui relevait exactement ce que tu écris en commentaire, cet « excès » de lyrisme. Au moins, je suis prévenue… Dans tous les cas, ce ne sera pas une lecture de vacances !

    J’aime

    1. C’est un peu comme une écriture qui te prend aux tripes, tu vois,, un lyrisme sale … Mais cet aspect est surtout réservé au récit du soldat, ce qui fait que c’est légitime par rapport aux scènes décrites. Donc, c’est rude, mais je ne regrette pas du tout ma lecture et je vais poursuivre ma découverte de cet auteur.

      J’aime

Laisser un commentaire

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑